Adieu au langage

Réalisé par Jean-Luc Godard. Avec Heloise Godet, Zoé Bruneau, Kamel Abdelli, Richard Chevalier, Jessica Erickson, Alexandre Paita. 70 minutes. France. Sortie française le 21 Mai 2014.

Installé dans la salle obscure, une fille entre quelques minutes après. Accompagnée, elle affirme à l’homme avec grande conviction : « tu es prêt à voir du caca en 3D ? ». Le film de Godard convient tellement bien à la bêtise de cette fille. Ce n’est pourtant pas le plus grand des hasards. Avec le fascinant FILM SOCIALISME, Godard explorait une retraite des images. Avec ADIEU AU LANGAGE, il explore le langage. Ces deux films forment un merveilleux diptyque. Comme une vue générale sur ce qui nous entoure. Sur ce que les hommes regardent, sur ce qu’ils disent. Deux techniques devenues maîtresses dans l’art cinématographique. Comme à son habitude, Godard donne son avis par le cinéma.

Si par « caca » il faut entendre « un cinéma que je ne suis pas habitué à voir », c’est un peu extrême comme définition, non ? En tout cas, il ne faut pas s’attendre à un retour à la narration de la part de Godard. Il y a bien longtemps qu’il a abandonné la narration. Prétendant qu’il n’aime pas cela, qu’il n’y trouve pas d’intérêt. Ses goûts lui sont personnels, mais c’est ce qui fait la force de ses films. Car ADIEU AU LANGAGE est un film complètement expérimental. Non pas pour expérimenter l’image, le son ou quoi que ce soit d’autre. Mais parce que c’est le genre cinématographique qui convient le mieux à la vision de Godard sur le sujet. Toute forme de cohérence se perd, c’est ainsi la vision du cinéaste français.

Aucune cohérence avec ses premiers films, ADIEU AU LANGAGE représente une nouvelle partie de la filmographie de Godard. C’est le sentiment qu’il a en regardant le monde qui nous entoure. Que ça soit au cinéma ou à l’extérieur de celui-ci. Tout ce que l’on voit et ce que l’on entend devient incertain. Plus rien n’est accordé, les rapports sont cassés. Godard nous propose un monde en morceaux. Le cinéaste nous parle avec son coeur. Le cinéma est un langage. Ce film est le message qui sort du coeur d’un cinéaste qui vieillit, et qui contemple impuissant, et avec désespoir, ce qui se déroule autour de lui. Avec ce film, Godard tente une mise au point. La réponse serait dans la sauvagerie.

L’homme n’est plus qu’un animal sauvage. Les dieux sont loin, le langage est propulsé en cendres. C’est donc par là que le film compte un chien comme personnage principal. L’indécision de sa perception (couleurs, Noir & Blanc), la répétition de ses attitudes (manger, boire, dormir, jouer), le cynisme de ses mouvements (errance entre ville et campagne, sans véritable but) : tout ceci rend le chien comme n’importe quel autre être humain du film. Chaque mouvement est mis au même niveau. De ce fait, tout devient banal. Et de cette banalité, l’homme s’enfonce. Godard se fait mélancolique devant la destruction naturiste de l’homme. Le monde décrit n’est plus qu’un champ mortuaire des actes de l’homme.

Mais attention, Godard ne joue pas la carte la plus facile. Il ne se dirige jamais dans le blâme de tout ce qu’il explore. Ce qui rend l’acte du film intéressant, c’est que par ses gestes techniques, Godard épouse cette incompréhensibilité du monde. La retraite se fait uniquement dans les raccords. Et c’est ce qui nous fait manquer des films tels que A BOUT DE SOUFFLE, LE MÉPRIS ou PIERROT LE FOU (pour ne citer que ceux-là). C’est alors avec les plus grands et beaux sentiments que le spectateur est invité à la contemplation. Celle où l’on s’interroge sur la cohérence de tout ce qui nous est offert par le cinéaste. Si le film est abouti, c’est parce que le spectateur a matière à se mettre à la place du cinéaste.

Dans la vision où les mots deviennent de plus transparents. Comme il est si bien dit dans le film, « il nous faudra des interprètes, à tous ». Les mots vont et viennent. Comme une fumée de paroles sans grande importance. Un vide s’impose. Le creux résonne dans les paroles des hommes. Et ces mots ne sont plus que des maux. Ceux des hommes qui n’ont plus rien à dire. Qui débitent, via leur bouches, à grande allure et peut importe le placement de tel ou tel mot. On parle, sans vraiment dire quelque chose. D’autant plus agréable, c’est la connexion du langage avec le relief (dans le film). Comme une lutte, acharnée.

Là où les mots deviennent des maux, le relief est de plus en plus abstrait. Les hommes passent, repassent et reviennent dans des espaces. Mais ne s’y arrêtent vraiment jamais. Par un cadrage fabuleux et tout en finesse, Godard ré-invente la mise en scène des lieux. Chaque espace et paysage filmés deviennent un champ de lutte. Ils ne sont plus le fruit du fantasme des personnages, ils ne sont plus les lieux rêvés par un spectateur lambda. Ca devient le lieu où les ruptures trouvent leurs sources. Par ses images, Godard nous offre donc des espaces qui ne sont plus que des souvenirs. Tout aussi sauvages que l’évolution incompréhensible de l’être humain, et celle catastrophique de ses yeux. C’est ainsi que Godard utilisera différents moyens techniques pour capturer ses plans : appareils photo, téléphone mobile, caméras, …

L’oeil humain ne voit plus les belles choses. Tout devient trouble. Godard utilise cette idée pour s’approprier la 3D. La 3D, élément devenu commercial, Godard le redéfinit. Avec ce film, la 3D n’est pas là pour créer du relief. Elle n’est pas là pour faire des sorties d’écran. Elle n’est pas là pour nous insérer dans les images. Au contraire, Godard crée un trouble des yeux via sa 3D. Le split-screen peut aller se coucher dans les tiroirs de Brian De Palma, Godard lui donnera une réponse en 3D. De plus, Godard se permet de mettre en avant certains détails. Ceux qui n’auraient pas forcément eu d’intérêt avec la 3D. Mais qui, d’un seul coup, par un cadrage précis, deviennent fabuleux.

Ce qu’il manque peut-être au film de Godard, c’est davantage d’images d’archives. J’utilisais le terme « dieux » plus haut. Car le titre peut se lire autrement : « Ah dieux, oh langage ». Comme ainsi marqué sur l’un des cartons du film. Les dieux seraient également ces grandes figures, qui ne sont pas de notre monde. Proust, Mozart, Beethoven, Rimbaud, etc… Nombreux sont les grands artistes et auteurs cités dans le film. Comme si ce film pourrait être un message qui leur est attribué. Mais ces dieux, via notamment quelques images d’archives, ne sont que des évocations dans le film. Godard aurait gagné, dans son propos, à insérer beaucoup plus de références et d’images d’archives. Également, Godard est connu pour sa provocation. Et son film en manque cruellement aussi.

Et tout ce que je viens de raconter, est surtout travaillé par le montage. Le plus grand effet spécial du cinéma. C’est pour cela que c’est beau, et émouvant : la vie et la mort rassemblés dans les deux yeux, par le montage. Comme si Godard exprimait un adieu, via le cinéma, entre amour et mélancolie.

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