Athena, une tragédie esthétique

Quatre ans après Le monde est à toi, Romain Gavras revient avec une histoire d'émeute en banlieue parisienne, sur base de tragédie grecque. Violence, rage et sang, voici le programme de ce film aussi bête que laid dans tout ce qu'il entreprend. Le fantasme de la banlieue à nouveau mis en scène comme un spectacle.

On avait quitté Romain Gavras avec un travelling avant sur Karim Leklou dans une piscine, les yeux vers le ciel, dans Le monde est à toi. Ici, le film sorti directement sur le petit écran s’ouvre avec un travelling arrière, les yeux de Dali Benssalah vers le bas. Impossible donc de fuir la tragédie, elle revient sans cesse affronter les corps et les esprits. Dans Athena, le réalisateur reste en France, avec pour objectif de représenter une émeute dans une cité à la manière d’une tragédie grecque (d’où le titre, nom également choisi pour la cité). Une ambiance faite de rage, de sang et d’armes. Parce que tout commence avec le décès d’un jeune adolescent, mort sous les coups de trois policiers. Romain Gavras suit alors le parcours des trois frères du jeune Idir décédé : Karim leader de l’émeute, Abdel le militaire, et Moktar le dealer et aîné de la fratrie. A noter déjà que le film se refuse d’aller plus loin que le concept de bagarre virile, se refusant d’aller voir la sœur des trois protagonistes et même leur mère (se contentant d’une petite apparition pour chacune). Toute l’intention de Romain Gavras est là : rester aux côtés des personnages qui jouent les gros bras, comme lui se contente de prétention stylistique pour dire « regardez ce que je sais faire ». Juste de quoi impressionner les bandeurs de « maestria technique » qui s’exaltent devant la construction technique d’un plan-séquence de dix minutes, plutôt que chercher à comprendre ce que le plan-séquence aurait à montrer.

Copyright Netflix

C’est pourtant là que le film est un échec, n’arrivant jamais à trouver quoi que ce soit à révéler dans ses plans-séquence. Ils ne servent qu’à remplir la case « avoir un style », puisque les personnages sont des totems qui remplissent chacun une fonction bien précise. Au lieu d’être au service d’eux-mêmes (de leurs émotions, leurs sensations), ils servent uniquement la fiction. Ils existent dans le but simpliste d’entrer dans une catégorie : le bon qui veut calmer la situation, la brute qui ne jure que par la force, et le truand qui ne cherche que ses propres intérêts. Il n’est donc pas étonnant de constater que les personnages, tel qu’ils soient, ne font que crier. La parole leur est retirée, car ils n’existent que pour illustrer péniblement des idées et non des sensibilités. Si bien qu’il n’y a qu’une seule scène de larmes face au petit frère décédé, pauvre moment perdu dans tout ce bordel criard. Sauf que ça rejoint la simplicité totale du regard et du discours. Athena s’inscrit lui aussi dans ces films qui fantasment l’ensauvagement des banlieues, tout en restant totalement inoffensif tant il se détache de tout ce qu’il aimerait montrer – en retirant la parole. Pour les esprits les plus ravagés qui voudront le récupérer politiquement et idéologiquement, rappelons tout de même que ce film est une fiction, avec un point de vue et une altération de la réalité (c’est le principe de l’art), et qu’il ne s’agit pas d’un reportage.

Quand bien même Romain Gavras essaie de plonger son récit et sa fiction dans l’ambition mythologique (Athéna est la déesse de la sagesse, de la justice et de la stratégie militaire), il n’échappe pas à ce que pas mal de films conçoivent : une pseudo réalité chaotique, destructrice, dangereuse des banlieues. Il participe même à perpétuer ce discours, qui permettra une récupération politique et médiatique. C’est à tel point qu’il prend le contre pied de Bac nord de Cédric Jimenez : ce film qui avait le défaut (parmi d’autres) de ne pas nuancer et ne choisir que le point de vue des policiers, Romain Gavras ne nuance pas et se range uniquement du point de vue des émeutiers. Quand bien même le regard de Anthony Bajon est plusieurs fois filmé en plan serré, il reste silencieux quand il est au sein du corps policier. La raison est simple : les forces de police sont spectateurs de leur propre condition, toujours filmés comme une masse désincarnée, qui n’existe que par leurs boucliers et leurs uniformes. Certes la violence mise en scène n’épargne personne et se répand dans chaque recoin du paysage. Cependant, le film passe d’une scène à l’autre sans effectuer le moindre changement de ton ou de mise en scène. A défaut d’avoir une seule idée de rythme dans sa narration ou son montage, Athena s’enlise dans la linéarité et ne remet jamais en question une seule image, sans aucune ambiguïté.

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Le résultat en est sans appel : les plans créés ne sont définis que par la violence du récit. La caméra de Romain Gavras ne voit que cela, ne cherche que cela, sans jamais y trouver les traits individuels (et intimes, par extension) qui caractérisent les personnages. Jusqu’à même mettre en scène l’un des protagonistes torse nu sous un petit blouson noir, dans la nuit, avec un cocktail molotov à la main. La caricature ultime et hilarante d’un animal dépossédé de toute émotion qui s’avance doucement vers sa proie. Ce n’est pas en le filmant torse nu que le personnage devient plus dangereux ou brutal. Mais cette intention est néanmoins cohérente avec la manière dont l’environnement est capté. Que ce soit dans l’architecture spatiale, dans la destruction matérielle, ou même dans la présence des figurants (les habitants qui ne participent pas à l’émeute), l’environnement est totalement vain puisqu’il se résume à des apparitions furtives qui ne servent jamais le récit ou le chaos. En ne voyant que la violence mais en cherchant à tout faire entrer dans son champ, la caméra part dans tous les sens. Très rapidement, à force de vouloir tout filmer et sans aucun but dramatique, Athena alterne entre des moments clipesque et des perceptions provenant de jeux vidéos. Il serait épuisant de compter le nombre de ralentis inutiles, de comprendre l’intérêt d’avoir autant de fumée qui recouvre tout sur son passage, ou de chercher la pertinence de finir un plan large basé sur la discrétion par un travelling avant.

En fait si, il y a bien quelque chose : Romain Gavras répond aux appels de l’onirisme, créant un paradoxe avec la tragédie grecque qu’il essaie de construire. Certes le récit suit une mécanique de l’urgence, du point de non-retour, avec une certaine fougue dans la performance des acteurs. Mais voilà, Athena est avant tout une prétention esthétique, une arrogance technique qui vise seulement à impressionner, où le réalisme n’a plus vraiment sa place. La raison est simple : l’artifice du plan-séquence. Il est nécessaire de le rappeler, le plan-séquence n’est jamais une affaire d’immersion. Ce procédé fonctionne sur une impression de réalisme, et non pas sur l’onirisme. Il isole une tonalité et une atmosphère dans un instant, en se déconnectant du reste de son environnement. Le plan-séquence est une rupture avec l’environnement, et ne peut absorber tout ce qui s’y déroule. Étant donné que Romain Gavras refuse de voir autre chose que la violence, le plan-séquence est une absurdité. Cette maladresse s’étend même au montage, qui lui aussi ne sait pas ce qu’il veut voir ou raconter. Le plan-séquence naît d’un caprice technique, puisqu’il est systématiquement stoppé par des ellipses et un montage plus conventionnel : une structure qui part dans tous les sens.

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Le paradoxe onirique ne s’arrête pas ici. Dans ces plans-séquence, la parole existe de moins en moins (déjà que les personnages préfèrent crier) et se voit remplacée par une musique lyrique. Comme si les ficelles de la tragédie grecque n’étaient pas déjà flagrants. En même temps, la narration cherche des ruptures de points de vue, minimisant donc l’impact d’un plan-séquence. Toutes ces ruptures ne justifient que la longueur du film, et deviennent un prétexte pour la caméra de chercher sa fameuse ubiquité. L’onirisme se crée également dans ce manque de perspective : tout est direct, servi sur un plateau, se contentant d’illustrer l’action avec des gros sabots, laissant l’adversaire derrière les fumées et les flammes. C’est là toute la bêtise et la laideur de Athena : le film se veut radical dans son esthétique, pour accompagner la violence, mais il fait de la révolte un spectacle. Les personnages et la caméra ne remplissent qu’une seule et même fonction : être au service du sensationnalisme qui « en met plein la vue », à défaut de servir une sensibilité meurtrie.


ATHENA
Dirigé par Romain Gavras
Scénario de Romain Gavras, Ladj Ly
Avec Sami Slimane, Dali Benssalah, Ouassini Embarek, Anthony Bajon, Alexis Manenti, Birane Ba
France – 1h40
Sortie le 23 Septembre 2022 sur Netflix

1.5 / 5