Ceux qui travaillent

Le monde du travail et son « univers impitoyable » ont inspiré bon nombre de cinéastes, bon nombre de sujets et de scénarios, sans pour autant inspirer toutes les esthétiques et les mises en scène. A l’image du dernier film de Ken Loach intitulé SORRY WE MISSED YOU, le film d’Antoine Russbach intitulé CEUX QUI TRAVAILLENT a beaucoup plus à dire qu’à montrer. Sauf que, jusqu’à preuve du contraire, l’essence et l’origine même du Cinéma est le mouvement et son illusion grâce aux images. Il y a une grande tendance dans le cinéma dit social et militant : celle de croire que le fond prévaut sur la forme. Ainsi, ces films sont et seront toujours aussitôt vus et aussitôt oubliés. On pourrait nommer cette tendance « films de scénarios », ceux qui préfèrent donc travailler à être bavard (souvent bien trop) plutôt qu’à travailler la suggestion par la mise en scène des comédien-ne-s, la tension par le hors-champ, l’ambiance par la photographie, le ton par la mise en scène des espaces.

En parlant d’un monde du travail cruel et qui provoque une souffrance intime, Antoine Russbach a voulu un film à l’ambiance froide et au ton âpre. C’est le cas, effectivement. Mais était-il nécessaire de le traduire par une mise en scène minimaliste, bien trop figée ? La froideur s’exprime donc ici par le manque de mouvement, même dans l’espace intime de la maison familiale, où les comportements explicites du père ne semblent interroger absolument personne autour de lui… La mise en scène corporelle confond en permanence l’accablement avec l’épuisement, l’amertume avec la nonchalance. On retiendra pourtant une séquence, qui sort totalement du lot par sa tendresse et par la volonté de continuer à rêver / espérer : celle entre le père (incarné par Olivier Gourmet) et sa fille cadette lorsque celle-ci doit se rendre une journée sur le lieu de travail de son père pour un projet scolaire.

Loin d’être suffisant, pourtant, car les relations et interactions entre chaque personnage sont résumées par un cadre affreusement observateur, qui lui-même ne provoque jamais le mouvement. Composé d’une photographie naturaliste au possible (cruellement sans âme et sans identité, tant chaque espace différent se ressemble au final), le cadre est un témoin au point de vue externe et neutre. Le cadre ne prend pas la peine d’avoir une quelconque implication dans la narration, dans les comportements des personnages, dans l’ambiance. Évidemment, le film montre savoir créer des rapports de force entre les personnages, aussi savoir l’utilité des champ/contre-champ. Toutefois, le cadre s’enferme dans des subterfuges narratifs et esthétiques que les spectateur-rice-s connaissent déjà grâce à beaucoup de parole et de scènes explicatives. Telle une fiction très bien documentée qui tente de se rapprocher du réel le plus possible (sûrement par excuse de réalisme), alors que la fiction a tellement à proposer. On ne retiendra uniquement la prestation d’Olivier Gourmet, qui confirme son talent dans la peau de personnages en plein questionnement intime et pris de désespoir.


CEUX QUI TRAVAILLENT
Réalisé par Antoine Russbach
Scénario de Emmanuel Marre, Antoine Russbach, Catherine Paillé
Avec Olivier Gourmet, Adèle Bochatay, Louka Minnella, Isaline Prévost, Delphine Bibet, Michel Voïta, Pauline Schneider, Lalia Bron
France
1h42
25 Septembre 2019

2 / 5