El Club

Écrit et Réalisé par Pablo Larrain.
Avec Roberto Farias, Antonia Zegers, Alfredo Castro, Alejandro Goic, Alejandro Sieveking, Jaime Vadell, Marcelo Alonso, José Soza.
Chili. 97 minutes. Sortie le 18 Novembre 2015

Après le fascinant NO sur le renversement de Pinochet, le cinéaste chilien Pablo Larrain s’attaque à nouveau à une institution. Ici, il se confronte à l’Église. Dans un village reculé sur le littoral du Chili, des prêtres marginalisés par l’Église vivent dans une même maison. Alors que la tranquillité règne dans cette demeure, elle sera bouleversée par l’arrivée d’un nouveau pensionnaire. A travers cette sorte de chronique qui emprunte au schéma narratif du thriller, le film trouve une résonance politique envers les maux qui restent après la dictature. EL CLUB trouve alors logiquement sa place après NO, dans une suite d’événements cohérents. Mais le traitement est très différent.

Le crépuscule
Après la grâce et le plein de couleurs dans NO, Pablo Larrain filme un crépuscule autour de ces prêtres. Il ne s’agit pas d’un film de genre, mais il emprunte beaucoup à l’horreur. A l’instar de EL CAMPO de Hernan Belon (2013), l’ambiance est à l’angoisse et l’esthétique fait référence au cinéma d’horreur. Mais ce n’est pas une intrigue horrifique à proprement parlé. Parce que l’horreur ici est élégante, tel un faux semblant qui n’a pas sa place dans le village. Alors que l’environnement est représenté de manière très paisible, silencieuse et régulière, un événement va accélérer les attitudes et mettre les sensations au défi. Dans les images, le film n’est pas sombre, mais il conserve ses couleurs diverses. Le seul élément crépusculaire est ce contraste qui tend à ternir les plans.

Parce que le crépuscule ici tient à deux idées : l’hypnose et l’illusion. Le peu de détails dans les décors renforce cette volonté hypnotique. L’aspect paisible d’un quotidien peut rapidement devenir le cauchemar de l’impuissance et de la fatalité. L’hypnose se manifeste par une certaine invocation des ténèbres, se manifestant par un personnage. Mais cet enfer n’est pas noir, il est à l’entre-deux de l’ombre totale et de la lumière. Dans chaque image, il y a comme un nuage sombre qui survole les personnages, prêt à les engloutir un à un. C’est là qu’intervient l’idée d’illusion : les personnages se prêtent dans des comportements instinctifs où l’horreur est chassée. Si l’esthétique n’est jamais sombre, c’est que l’horreur traque les personnages et inversement. L’illusion se cache dans les plans précédents, là où les personnages cherchent à retrouver leur passé tout en étant condamnés à la fatalité du crépuscule.

Cette fatalité de l’horreur passe par une technique esthétique : en utilisant le grain sur chaque image, chaque plan devient comme poussiéreux. Ce détail esthétique propose de concevoir l’image comme un tapis, où tout ce qui s’y trouve revête l’esprit du passé. Parce que l’Église est montrée avec un esprit conservateur, que le cinéaste prend plaisir à décrire le crépuscule qui attend ces attitudes. Le grain ajoute un effet troublant à l’esthétique, et complète parfaitement l’élégance de l’horreur et la grâce des espaces. Parce que chaque lieu devient rapidement le pont entre un passé rempli de malaise et un futur ouvrant les portes de l’égarement personnel et collectif.

Le huis-clos
Entre ce malaise et cet égarement personnel inculqués aux personnages, le film prend des allures de comédie noire. Il n’est pas une comédie, mais il adopte certains principes de la satire. D’une certaine façon, l’humour noir ici fonctionne par l’absurdité. Il s’agit de montrer la vanité des actions des personnages, en développant le sentiment de leur obligation et de leur fatalité. Comme si ces prêtres (et la nonne) sont contraints à agir de la sorte, pour retrouver leur confort psychologique et idéologique. Le huis-clos est donc l’affaire d’une progression de la folie ambiante, comme si l’air contenu dans une seule demeure ne suffit plus à la rédemption. Il faut voir comment les sorties du huis-clos vers les espaces verts (le final ou les courses de lévriers) sont des instants libérateurs.

Cette comédie noire annonce deux choses : la première étant la fin de l’humanité. En utilisant l’humour noir, Pablo Larrain enlève progressivement toute part de raison dans les attitudes de ses personnages. Même jusqu’au plus secondaire, qui vient perturber la venue d’un nouveau prêtre dans la demeure. Et cette maison, tout en huis-clos la plupart du temps, se montre être aussi vide que l’esprit des personnages. Ce qui est tout aussi troublant que l’esthétique, c’est que le huis-clos permet de renfermer toutes les névroses et les angoisses des protagonistes. Il faut remarquer à quel point cette demeure n’est pas un lieu de vie, mais un espace non-vie. Il y a pas beaucoup de mouvements, les activités sont très réduites et répétitives, puis les attitudes reviennent sans cesse au point de départ (le canapé est un élément de décor central qui montre l’aspect vain et replié sur soi des personnages).

Cette fin de l’humanité établit le début de l’animalité. Cette sauvagerie est justement ce qui justifie toute cette perte de vitalité chez les personnages. Parce que de séquences en séquences, le long-métrage pointe logiquement vers la cruauté et le côté monstrueux d’hommes perdant la raison et les émotions. Toute rationnalité est balayée dans le grain de l’esthétique, pour ne laisser que des fantômes du passé qui ne peuvent que se plier devant le présent (et éventuellement le futur). L’animalité n’est pas caractérisée par des gestes brutaux, mais ils sont tout de même radicaux. Quand une action est effectuée, elle est définitive et déstabilisante.

Le regard glacial
Cette chute progressive est issue d’une approche précise : là où la mise en scène renforce l’humour noir d’une animalité, le cadre montre que le présent ne peut s’affranchir du passé. Le cadre explore cette déviance incessante, qui est profondément encrée dans les attitudes des personnages. La chute (que l’on peut aussi qualifier de déraison) est une sorte de point sensoriel où un élément radical va affecter chaque autre élément autour. C’est en cela que le cadre insiste sur ce huis-clos, sur ces espaces vides, puis sur ces attitudes et visages égarés. La sensation de froideur trouve son reflet dans la caractérisation des personnages : ils sont ni noir ni blanc, mais gris car ils sont les anti-héros de leurs idées.

Quand on regarde le découpage et surtout le montage, il y a deux catégories de moments consacrés aux personnages. La froideur de la mise en scène se retrouve dans la manière de cadrer les comédiens. Parce qu’ils sont présentés tous à égalité par rapport à leur animalité et leur perte d’humanité, le film propose de constater une dualité entre le pouvoir et la rédemption. Lors de dialogues, le champ / contre-champ offre une même durée de plan pour chaque personnage discutant. Dans les autres situations (à plusieurs ou dans les attitudes fatales / bouleversantes) le cadre propose de voir le prétendu pouvoir de ces personnages, ou d’anticiper la chute prochaine de ces personnages. Le cadre serait comme un œil sarcastique pour ces humains qui deviennent des animaux.

5 / 5