Marco Bellocchio est celui qui a ensorcelé la majorité d’entre nous avec VINCERE en 2009 puis avec LA BELLE ENDORMIE en 2013, pour citer ses films les plus récents. Il a eu un coup de mou avec SANGUE DEL MIO SANGUE l’an dernier en 2015. Mais cette fois, le meilleur cinéaste italien actuel revient avec ses thèmes fétiches : la souffrance à l’intérieur de l’enfance, de l’éducation et des rapports familiaux tout en insufflant un contexte de foi chrétienne. Pourtant, le cinéaste a encore des choses à inventer, plus qu’à dire. Il ne prouve rien avec l’intrigue, mais il démontre qu’il possède encore une fièvre inventrice dans chaque nouvelle séquence. Son objectif est de repousser l’invention dans ses possibilités, d’aller encore plus loin que la séquence précédente.
C’est pour cela que le long-métrage explore un traumatisme intérieur, une intimité. La souffrance perdure et s’alimente selon les situations intimes. Le questionnement des thèmes évoqués précédemment proviennent de cette intimité, parce qu’elle est le moteur du souvenir mais aussi celui de la mélancolie présente. Dans le présent du film, il y a une sorte d’absence qui plane dans chaque scène, telle la recherche d’un fantôme chez Kiyoshi Kurosawa qui redonne sens à une existence. Toutefois, cette recherche ne peut s’amorcer qu’avec la mise en place de souvenirs d’enfance. Sans cela, l’exploration du présent serait indigente et n’aurait pas d’écho dans la solitude.
On peut parler de variation avec ce long-métrage, notamment dans la mise en scène des rapports familiaux. Entre le passé et le présent, les souvenirs et la mélancolie, le film alterne les émotions et les sensations vis-à-vis de son protagoniste. Un film à la fois doux pour l’amour entre les parents envers leur fils avec des corps qui se resserrent souvent, puis sauvage dans la séparation créée (aussi bien abstraite que géographique). Le film est également très tendre car plein de bienveillance envers le manque parental dans l’énergie de la jeunesse, puis intransigeant / dur quand son classicisme traite la radicalité de détails scénographiques disparus. Enfin, le film est tout aussi limpide car il aborde des situations intimes très connues, mais également trouble / complexe car ensemble elles forment le puzzle d’une vie torturée.
Tous ces éléments forgent la cruauté implicite de l’approche adoptée : Marco Bellocchio rejette la foi en second plan, et ne la voit pas comme une issue. Au contraire, le traumatisme est représenté de telle sorte que la cruauté est le choix effectué pour l’incarner. Telle une tragédie endiablée qui dicte son chemin au travers des sentiments (l’image de Belphégor est alors importante). Dans les scènes où la protagoniste doit parler de son traumatisme, il est toujours présenté en contre-point des événements, comme une image qui vient constamment perturber la bienveillance des autres (telle la scène des funérailles où l’enfant est présenté comme l’élément perturbateur alors que le hors-champ est une cérémonie qui suit tranquillement et ordinairement son cours).
Pourtant, Marco Bellocchio ne rejette pas totalement l’ordinaire, autrement dit le classicisme. Parce que dans sa narration, il explore le traumatisme cruel de son protagoniste par une variation temporelle. Comme on peut s’y attendre, il y a le présent qui alterne avec le passé, afin de compléter certains souvenirs mais surtout apporter davantage de couleurs. Avec cette variation, le film propose une nuance entre le réel et l’imaginaire : la nostalgie des souvenirs coincent le protagoniste dans le mystère du passé, et joue d’une intangibilité entre les deux. Parce que les espaces se transforment au fil des années, ils semblent pourtant rester identiques. Ainsi, le film navigue toujours entre le vrai et le faux. Le protagoniste s’intègre pleinement à une esthétique qui l’écarte de la vitalité qui l’entoure, tandis que sa perception des espaces crée la variation.
La nuance entre réel et imaginaire est également présente dans l’echo effectué à l’époque contemporaine. Parce que le film explore la différence entre la jeunesse et la vieillesse, il permet d’alterner les périodes. Ainsi, le film n’a aucun problème à mélanger la figure imaginaire de Belphégor – autrement dit la cruauté esthétique imposée aux espaces et aux attitudes, avec la figure réelle du traumatisme – trop complexe pour ne pas être rejointe par l’aide de l’imaginaire. Contemporain également car l’actualité (crise sociale, guerre des Balkans, …) et la télévision s’imposent comme deux éléments éducateurs, des ambiances qui dictent les attitudes dans les espaces.
FAIS DE BEAUX REVES, de Marco Bellocchio
Avec Valerio Mastandrea, Guido Caprino, Nicolo Cabras, Barbara Ronchi, Berenice Bejo.
Italie / 130 minutes / sortie le 28 Décembre 2016