Faute d'amour, portrait sans concession d'une Russie désespérée

Cannes 2017 / Film présenté en Compétition Officielle.

La Russie est un pays de cinéma qui n’hésite pas à creuser dans sa réalité sociale pour en sortir des films durs, poignants et qui expose les problématiques actuelles (notamment sur la religion). Coproduit par la France, FAUTE D’AMOUR est de ceux qui distille un climat particulièrement sombre sans proposer d’issue au spectateur.

Dans FAUTE D’AMOUR, tout explique le titre : un couple en pleine séparation, et leur enfant plus vraiment désiré qui fugue. Ce qui n’était qu’un problème conjugal devient un enjeu de quartier pour retrouver l’enfant, alors que les parents entretiennent leur discorde et leur apathie face au drame qui se joue. On suit alors lentement leur vie qui continue, leur recherche et leurs (peu de) réactions face à l’absence. Suffoquant.

Ce drame parfaitement maîtrisé (visuellement du moins) s’enferme lui-aussi dans des redites qui font traîner le récit, mais ajoute à ce manque d’humanité flagrant une certaine ignorance des nouvelles générations pour la réalité. Si la critique des nouvelles habitudes connectées, de la superficialité quotidienne, ne se veut pas flagrante, elle habille tout le récit tel un témoignage brutal. Complètement déshumaniser, le couple principal cherche à s’évader de sa condition pour trouver refuge dans de nouveaux cocons familiaux (avec leurs nouveaux conjoints) qui vont également rapidement dépérir. Désespoir.

Bonus : critique de Teddy

Andreï Zvyagintsev, c’est ELENA et surtout LEVIATHAN, pour ses plus récents. Difficile d’oublier LEVIATHAN, filmé comme une fresque monstrueuse et cruelle, dans un décor austère et chaotique. ELENA est moins marquant, peut-être dû à sa narration plus épurée, ou à son esthétique moins vaste et plus concentrée. Cependant, le cinéaste russe est toujours dans la même ambiance de chaos. Rien qu’avec tous ces plans fixes sur la nature, ici enneigée ou déserte, Zvyagintsev confirme qu’il aime son environnement mais qu’il a un sentiment de déception et de désespoir. Parce que ces plans montrent le vide, parce qu’il n’y a plus aucun mouvement, ainsi le cinéaste parle de crépuscule. A plusieurs reprises, le récit emmène le spectateur dans des espaces détruits, ou qui se transforment. Cet ancien bâtiment, servant de base aux deux jeunes adolescents, est une métaphore de l’ancien URSS. Cette esthétique est conçue comme le contast d’une évolution passée, telle une fatalité contemporaine. Le film est à la frontière entre la fiction et le documentaire, mais sa cruauté en fait bien une fiction.

On pourrait qualifier ce film de féroce, scrutant une société à la loupe, en amorçant ses détails intimes comme les facteurs d’un déréglement général. Une férocité qui peut faire penser à certaines oeuvres d’Anton Tchekhov. Andreï Zvyagintsev parle d’âmes mortes, vide ses personnages de toute essence émotionnelle. La quête du garçon disparu, c’est aussi la quête de l’amour, mais également la quête de l’humanité. Plus le film progresse, plus l’humanité disparaît dans une impression fantômatique. La beauté s’efface, laissant place à une esthétique clinique. Andreï Zvyagintsev n’est pas un misanthrope et ne manque pas d’empathie, comme certains critiques ont pu l’écrire (le film était sûrement trop complexe ou trop subtil pour eux). Quand un cinéaste cadre un jeune garçon pleurer sans faire de bruit, caché derrière une porte dans le noir, c’est toute la beauté et l’amour – et non pas un acte antipathique. L’esthétique ne reflète pas la personnalité du cinéaste, elle est le miroir intérieur des personnages. Ainsi, FAUTE D’AMOUR est un portrait « dénonciateur » d’une société qui se veut de plus en plus individualiste.

La mise en scène en est une preuve supplémentaire. Alors que le cinéaste met en place un groupe de bénévoles qui recherchent le jeune garçon jours et nuits (autre élément empathique), les parents sont dans la méthode brutale où la faute est toujours rejetée sur autrui. La mise en scène, entre immobilisation (dénaturer la sensibilité de l’humain) et violence, permet au film de pousser toujours plus loin son horizon. Comme si, en créant le mouvement de la recherche, les protagonistes contaminent leur environnement de leur manque d’amour et de beauté. Les attitudes et mouvements des personnages, l’esthétique de la caméra, etc… se résument tous à un calcul. Et comme dans chaque calcul, il faut enlever ce qui est trop lourd, il faut laisser quelqu’un sur le bord de route. FAUTE D’AMOUR, c’est la question de l’abandon (d’autrui et de soi en même temps) pour se diriger vers la recherche d’un refuge, d’une voie de secours (le jeune garçon).

Sauf que l’écart se creuse petit à petit, et continue de faire du passé un horizon très lointain. Déjà dans ELENA, puis plus accentué dans LEVIATHAN, les espaces filmés sont cadrés de sorte qu’ils soient inaccessibles. Il ne s’agit pas d’images de contemplation, mais de cadres fixes qui remuent le souvenir de ce qui a été perdu. Quand la neige se met à tomber, c’est une manière d’annoncer le crépuscule / le désastre (Powell et Pressburger l’ont fait, juste avant la scène de duel dans LE COLONEL BLIMP). Cela rejoint également le style de Zvyagintsev de filmer la nature à travers des carreaux et des vitres, de les cadrer depuis l’intérieur. En créant cette distance, il emprisonne ses spectateurs comme ses personnages se sont refermés sur eux précédemment. A tel point que le cinéaste aime positionner sa caméra autour de ses personnages, pour guetter leurs moindres mouvements, permettant de dessiner au mieux cette errance dans un monde où l’amour n’existe plus. Plus le spectateur se rapproche de la fin du récit, plus Andreï Zvyagintsev propose une voie sans issue, une fatalité permanente.

FAUTE D’AMOUR de Andreï Zvyagintsev
Avec Maryana Spivak, Aleksey Rozin, Matvey Novikov, Yanina Hope, Daria Pisareva, Marina Vasilyeva, Andris Keiss, Aleksey Fateev, Maxim Stoianov, Varvara Shmykova
Pays d’origine : Russie
Durée : 2h07
Sortie française : 20 Septembre 2017

3.5 / 5