Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos est connu pour les bizarreries et l’ironie qu’il met en scène. Une fois de plus, LA FAVORITE est une comédie remplie de malaise. Loin d’être négatif, ce malaise est celui provoqué par les obsessions de pouvoir et d’amour dont font preuve les personnages. Entre avidité, opportunisme, arrivisme, jalousie et vengeance, le long-métrage a beaucoup de choses à explorer. Cela s’effectue alors par des personnages qui manquent beaucoup de naturel. Il n’y a pas le sérieux, la droiture, le raffinement des mots que l’on trouve dans les films d’époque que l’on voit si souvent. Ici, les personnages ont quelque chose d’enfantin, tels de grands enfants capricieux qui s’énervent pour avoir la moindre attention et la moindre importance. Yorgos Lanthimos apporte donc une part de surréel dans sa mise en scène, avec des personnages pas loin de ceux de BARRY LYNDON, ou des crétineries, des fantaisies et des excès que l’on retrouve parfois chez Molière, chez Shakespeare ou dans des films de Alexander Korda.
Yorgos Lanthimos apporte surtout sa bizarrerie et son ironie dans le cadre et l’esthétique. Loin des habitudes des films d’époque soignés, LA FAVORITE propose une absurdité surréaliste. Avec ses ralentis extrêmes combinés à une musique classique, il y a une manière de pousser le regard jusqu’à finir par rire des comportements des personnages. Le cinéaste s’amuse à créer une contradiction entre ce que l’on pense d’une cour royale et ce qu’il peut s’y passer. Avec les extrêmes ralentis, les personnalités implosent et l’élégance est détruite à petits feux. Puis, Yorgos Lanthimos inclut tout cela dans une lumière qui alterne entre le naturel et l’éclairage aux bougies. Il inclut donc le ridicule général des personnages dans une idée du sensoriel qui n’appartient qu’à eux, et qui devient rapidement extravagant. Mais cette lumière naturelle est aussi là pour montrer comment l’univers des personnages s’élabore dans une bulle. Sans lumière artificielle, le cinéaste filme ses personnages et leurs costumes en marge du monde réel. Les costumes, les bougies et les attitudes sont comme des paradoxes avec le réel représenté par la lumière naturelle. Alors que pratiquement tout le récit est filmé au sein de la propriété royale (dans la demeure et dans les jardins), la lumière naturelle vient rappeler que les personnages détenant le pouvoir sont isolés, coupés du peuple, nichés dans leurs obsessions et leur absurdité.
Complètement dans leur bulle fantaisiste et excentrique, les personnages sont filmés dans de nombreux cadres à la rigueur inouïe. Il faut notamment noter l’incroyable performance d’Olivia Colman, qui ne fait que s’améliorer et d’impressionner d’œuvre en œuvre. Alors que de nombreux cinéastes ne savent que faire des espaces dans lesquels ils mettent en scène leurs personnages, Yorgos Lanthimos les capte avec des contre-plongées ironiques, des travellings accompagnant leurs attitudes extravagantes, et parfois des frontalités cruelles envers les personnages. Mais ce qui ressort davantage dans l’esthétique de LA FAVORITE, ce sont les si nombreux panoramiques. Ce qui pourrait être perçu comme une obsession, est en réalité bien cohérent. Les panoramiques de LA FAVORITE traduisent la beauté et l’élégance d’une cour qui virent dans une forme de tornade des crétineries. C’est une manière de mettre en scène la propagation du baroque, et une sur-affluence de corps, qui tous deux forment l’ambiance envoûtante et tordue de la cour. Comme si les panoramiques font se propager l’extravagance et l’ironie de la mise en scène du cinéaste. Parce que même dans ses très courtes focales et sa distorsion, le cadre se permet se tordre et étirer l’illusion que la cour est un lieu beau et chaleureux.
LA FAVORITE est un film féroce, qui n’hésite pas à faire de l’excès son atout. La reine se dévitalise petit à petit (jusqu’à ce plan final si parfait) et les hommes sont comme des mauvais drag-queens. Yorgos Lanthimos s’amuse donc à retirer toute forme de bien-séance, d’élégance et d’humanité dans ses personnages, pour en faire des êtres sauvages mais n’utilisant que leur extravagance comme arme. Ainsi, on ne sait jamais jusque la mise en scène va aller. Le problème est qu’elle ne va nulle part, qu’il faut attendre les dix dernières minutes pour voir la mise en scène se nuancer quelque peu. LA FAVORITE est un film fascinant esthétiquement, qui sait parfaitement mettre en scène ses espaces, mais qui s’essouffle dans son concept théorique et physique de la bizarrerie. Sans être redondant, le film suit une même ligne de traitement, et se piège lui-même au sein de sa propre bulle, n’ayant pas vraiment autre chose que la fantaisie à proposer. Toutefois, il faut saluer le geste de Yorgos Lanthimos, car LA FAVORITE met de côté la fidélité à une certaine idée de l’élégance et d’esthétique du film d’époque. Le cinéaste joue à tordre les codes, pour mieux s’approprier et ré-inventer le film d’époque, par son décalage entre une bulle royale et une réalité du peuple qui n’atteint jamais le pouvoir.
LA FAVORITE (The Favourite)
Réalisé par Yorgos Lanthimos
Scénario de Deborah Davis, Tony McNamara
Avec Olivia Colman, Rachel Weisz, Emma Stone, James Smith, Mark Gatiss, Nicholas Hoult, Willem Dalby, Carolyn Saint-Pé, John Locke, Joe Alwyn
Irlande, Royaume-Uni, États-Unis
2h
6 Février 2019
Il y a 10 autres articles à lire.