Les grands esprits

Explorer les difficultés de l’éducation liées à la jeunesse n’est pas une tâche facile, même si des cinéastes comme Laurent Cantet (ENTRE LES MURS), Alan Clarke (SCUM) ou Céline Sciamma (BANDE DE FILLES) y ont réussi. Olivier Ayache-Vidal a choisi l’immersion pendant quelques temps, pour construire son film. Mais Ayache-Vidal a tort quand il part d’une observation pour l’arranger en surface, qui épure la pédagogie du public avec légèreté. Là où Michel Gondry a réussi avec THE WE AND THE I et Céline Sciamma avec BANDE DE FILLES, c’est que le sujet s’adapte à leur style et leur regard, et non pas l’inverse. Ayache-Vidal n’a pas réalisé un film sans âme, mais on oubliera vite qu’il en est le réalisateur.

LES GRANDS ESPRITS manque de ce qui fait la force de ENTRE LES MURS, de SCUM, de BANDE DE FILLES et de THE WE AND THE I : la complexité intime de l’individuel. Il faudra attendre longtemps avant qu’une insulte à un élève provoque une réaction intime / intérieure. Parce que le long-métrage ne fait que dérouler des clichés un à un, en les égratignant un à un, mais sans expliquer pourquoi ils existent. Un film ne peut pas se dire « à propos des jeunes » quand il préfère explorer une relation amoureuse entre deux enseignants, que développer la vie intime d’un élève dont la mère se résume à dire « à la maison, il est gentil ». Michel Gondry a réussi à développer son style cinéaste bricoleur en le mettant au profit de l’individuel dans le collectif (THE WE AND THE I). Laurent Cantet, avec ENTRE LES MURS, montre comment cette jeunesse marginalisée est plus complexe qu’elle n’y paraît, en décortiquant chaque élève. Ayache-Vidal traite chacun de ses élèves de la même manière, ils sont égaux dans les attitudes et le ton. LES GRANDS ESPRITS prend certes le point de vue de Denis Podalydès, enseignant, mais il le confronte à un groupe uniforme qui ne fait preuve d’aucune singularité.

Toutefois, le cliché n’est pas une tare dans LES GRANDS ESPRITS. Il est le nécessaire postulat, pour ensuite être déconstruit petit à petit. Le point fort du long-métrage, est dans la résolution des relations. Ayache-Vidal de tend pas à transformer ses jeunes personnages en futurs génies. Il tend à les mettre en lumière pour leur apporter une dignité et une considération. Même si le regard reste en surface (le point de vue de l’enseignant définit comme un point de vue général de ceux qui ne vivent pas les conditions), Ayache-Vidal met en valeur la proximité amicale d’un enseignant envers l’un de ses élèves (aussi dommage que cela n’arrive qu’à l’un d’entre eux, mais le cinéma a ses limites de temps). LES GRANDS ESPRITS ne cesse de dire que vouloir transformer des attitudes et des mentalités est quelque chose de vain. Le film choisit alors de se conforter dans les sentiments : c’est ici que les personnages aux statuts différents (enseignant, élève, etc) vont pouvoir se rapprocher et communiquer. Le long-métrage ne cesse de dire que la répression est inutile (voir cet impressionnant tableau avec toutes les sanctions et les conseils de disciplines).

Cependant, il y a quelques doutes à émettre dans l’esthétique. Lorsque Podalydès arrive dans une banlieue, son regard devient celui de la caméra (caméra subjective, comme dit le jargon). Sauf que l’imaginaire de l’enseignant n’est plus jamais contredis : les sentiments ne peuvent pas contredire une image. Le plan sur une voiture brûlée ne sert qu’à remplir un imaginaire qui ne trouve jamais sa justification dans la réalité. Parce que cette voiture brûlée existe bien, mais jamais le film ne va chercher les causes de plusieurs actes. En ne creusant pas ainsi, LES GRANDS ESPRITS plonge dans le remplissage de l’imaginaire sans le remettre en question. A quoi bon filmer des élèves traverser un couloir tel un troupeau sauvage, si ce n’est pour seulement dire (par l’image) « ils sont comme cela à ce moment là » ? LES GRANDS ESPRITS ne fait pas l’effort de proposer une alternative à cet imaginaire. Et même s’il s’agit de l’idée toute faite d’un personnage, d’un point de vue personnel, le long-métrage se noie dans l’imaginaire en le considérant comme un état de fait.

LES GRANDS ESPRITS de Olivier Ayache-Vidal.
Avec Denis Podalydès, Abdoulaye Diallo, Charles Templon, Pauline Huruguen, Léa Drucker, Marie-Julie Baup, Anne Jacquemin, Marie Rémond, Zineb Triki.
France / 1h31 / 13 Septembre 2017

2.5 / 5
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