Les Huit Salopards

Écrit et Réalisé par Quentin Tarantino.
Avec Samuel L. Jackson, Walton Goggins, Jennifer Jason Leigh, Tim Roth, Michael Madsen, Demian Bichir, Kurt Russell, James Parks, Bruce Dern, Dana Gourrier, Zoe Bell, Gene Jones, Channing Tatum.
États-Unis ; 167 minutes ; 6 Janvier 2016.

Nous connaissions le Quentin Tarantino déjanté jusqu’à présent. Ce HATEFUL EIGHT montre une autre facette du cinéaste, où il serait plus patient, attentif et modeste. Tous ses ingrédients de marque se font attendre pendant plus de 90 minutes. Quand enfin arrive le premier coup de gâchette en « duel ». C’est aussi un Quentin Tarantino qui cherche à s’affirmer dans le genre : seconde virée pour le cinéaste dans le western après DJANGO UNCHAINED. Alors que RESERVOIR DOGS et PULP FICTION cherchaient à ré-inventer un genre, depuis plusieurs années Tarantino tente de se glisser à fond dans les genres. Avec DJANGO UNCHAINED, le nouveau film du cinéaste est une seconde proposition pour la recherche du western somme. Que vaut ce western patient d’un des cinéastes-cinéphiles les plus adulés ?

Chapitre 1 : le huis-clos
Ce qui ne manque pas à Tarantino, c’est son goût pour l’effusion continue de sang. LES HUIT SALOPARDS ne déroge pas à la règle : il faut de beaux calibres et des têtes qui explosent, voir même du gore à volonté. Le huis-clos proposé par Tarantino devient rapidement un grand opéra de la gâchette. La rapidité des tireurs est mise à l’épreuve, mais surtout la surprise de savoir quand un pistolet sera sorti de son étui. Le montage joue très bien là-dessus, en créant un rythme assez tendu et cruel envers chacun des personnages. En pointant du doigt la méchancheté de chaque personnage, le film s’offre à lui seul plusieurs possibilités de chemins à prendre. Au début, ils étaient une dizaine, à la fin il n’en restera aucun.

Sauf que ce huis-clos est aussi ambiguë parce qu’il agit comme un Cluedo. Le spectateur est placé au même rang que chaque personnage : on ne sait pas qui ment ou qui dit vrai, et personne ne sait qui est le coupable de tel ou tel méfait. C’est là que le long-métrage provoque une certaine théâtralité dans le dispositif. Le huis-clos engendre des répétitions évidentes et attendues en plus de deux heures dans un même espace intérieur. Le blizzard extérieur les enferme dans leur destin corrompu par l’opéra de la gâchette, tout en mettant le doigt sur le changement incessant de point de vue. La caméra donne l’impression que le refuge est bien plus grand qu’il n’y paraît, et les personnages s’y promènent sans prêter attention à l’environnement. Le décor est factice, il ne sert qu’à subvenir aux besoins naturels des personnages (manger, boire, se relaxer, dormir, se réchauffer, …).

Chapitre 2 : Mystère de figurines
Il n’y a pas que le décor qui est factice, les personnages sont des fantômes permanents. Comme à son habitude depuis quelques temps, Tarantino met en scène des figurines. Ce sont des silhouettes qui n’ont pas grand chose à offrir mais qui bavardent sans cesse parce qu’une situation les oblige. Il s’agit donc d’un film de situations et non un film de personnages. On ne peut pas dire que la fonction de chaque personnage du long-métrage soit indispensable au déroulement de l’intrigue. De plus, ces figurines sont présents pour esquisser le western dans son ultime idée : la rencontre de personnages qui se finit par un bain de sang. Bien que le découpage, et avant tout le montage, assurent l’apport de mystère et de dynamique, ce western s’auto-regarde.

Mais le western, c’est plus vaste et complexe que plusieurs dialogues qui entretiennent un mystère perpétuel. Le western, c’est le placement précis de personnages à un endroit d’un espace donné, pour que chacun de ses mouvements soient l’anticipation d’une ambiance. Or, LES HUIT SALOPARDS garde la même ambiance pendant plus de deux heures, et les mouvements sont trop peu nombreux. C’est là que l’on s’aperçoit que Tarantino n’est pas un directeur d’acteurs (on pourrait contredire ceci en regardant PULP FICTION, par exemple) mais surtout un grand dialoguiste. Parce que dans sa mise en scène, la staticité vire au théâtral avec une priorité à la prononciation des très nombreux mots dans le texte. En quelque sorte, les personnages possèdent autour d’eux une sorte d’enrobage mystérieux surtout dû à la pauvreté des mouvements.

Il y a pourtant une très bonne séquence où le mouvement est pratiquement continu : celle où Channing Tatum apparaît (même s’il a du mal à convaincre dans ce registre), qui est un flashback. Cette séquence ne force pas sur les coups mortels portés par les personnages, elle se concentre sur l’impact nommé « retournement de situation ». Dans le huis-clos impliquant, il s’agit de provoquer la surprise : c’est l’attente. Dans le flashback, le spectateur connait déjà l’issue des actions : c’est l’attention, qui jette un grand froid dans l’ambiance dès l’entrée du gang dans le refuge.

Chapitre 3 : Autant de beauté que de références
Autour de tout ceci, il y a les habitudes pénibles de Tarantino : l’utilisation à foison de références. Il en vient même à s’auto-référencer (on pourra citer RESERVOIR DOGS, PULP FICTION et KILL BILL dans les plus évidents). Il revisite des choses qu’il a pu mettre en scène précédemment, pour en donner une nouvelle version plus intense ou virtuose. Le film donne l’impression d’être devant un cinéphile qui est un éternel insatisfait. Il recherche le film somme dans le genre, tout en pataugeant dans ses propres méandres (l’effusion des dialogues, les figurines, …).

Puis, il y a cette photographie. Il était nécessaire d’en parler, puisque tout le monde s’évertue à faire l’éloge d’une prétendue virtuosité. Apparemment, il serait improbable de ne pas aimer des films de Tarantino, et surtout de trouver à dire du mal des images. Mais voilà, le beau pour être beau n’est pas un élément qui permet à la mise en scène ou aux personnages de puiser ce dont ils ont besoin. Il faut que les espaces soient un énième personnage traité comme une projection ou un paradoxe vis-à-vis des situations. Ici, le long-métrage propose un événement esthétique hors-champ (le blizzard) qui devient alors psychologique, et s’appuie essentiellement sur le peu de couleurs disponibles au sein du refuge. Beau, mais pauvre. A l’image du film dans sa globalité.

2.5 / 5
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