L’auteur du documentaire SWAGGER (2016), où le point de vue d’adolescents de quartiers défavorisés nous fait voyager entre leur vie difficile et leurs rêves. Un film touchant parce qu’Olivier Babinet permet au documentaire de se voir parfois comme une comédie, ou comme une comédie musicale, ou comme de la science-fiction. Le documentaire permettant alors de percer au sein de la fiction qui pétille dans la tête des adolescents. Leur présence s’empare du réel pour y imaginer une alternative. On retrouve les mêmes intentions de mélange des genres, de fantaisie et de portraits touchants dans POISSONSEXE. Mais le nouveau long-métrage d’Olivier Babinet modifie le chemin : alors que SWAGGER part du documentaire pour y incruster de la fiction, POISSONSEXE part de la fiction pour y incruster du documentaire. Ce film est à la fois une comédie névrosée et un documentaire dystopique, où la fiction qui entoure et développe les personnages permet de nous amener vers des réflexions sur le réel. Cependant, tout comme dans son film précédent, Olivier Babinet se sert de la fiction pour réparer le réel, pour en créer une alternative imaginaire. Le dialogue entre la fiction et le documentaire reste le même, où le point de vue est dans ce juste milieu entre une dramatique réalité et l’imaginaire.
Une comédie névrosée car tout est beau dans ce village proche de la mer avec ces couleurs vives, ce soleil permanent, de la végétation partout, cette longue plage de sable, ce silence paisible. Mais ce petit coin de paradis semble perturbé, une utopie un peu figée car les attitudes ressentent une certaine angoisse qui s’accroît. Olivier Babinet ne cherche pourtant pas à se focaliser sur la névrose, et va toujours chercher ce qui reste de vivant : que ce soit des désirs, des sentiments, des contacts humains, etc. Ainsi, POISSONSEXE a quelque chose de l’absurde, du surréalisme, tout en conservant une tendresse envers ses personnages qui cherchent une part de romantisme dans leur vie. À l’image des scènes relatant d’un documentaire dystopique, l’idéal n’est pourtant pas possible, alors il faut se contenter de petits morceaux de bonheur, des petites parties de rêves et de désirs possibles. Dans cet esprit surréaliste et comique de la névrose romantique, Olivier Babinet étudie la solitude de ses personnages, errant sans attache dans son environnement. Dès lors, la dimension scientifique prend tout son sens, car la science se substitue à la poésie qui manque terriblement.
Le romantisme faisant partie de l’imaginaire individuel, les personnages se reposent donc sur la science pour réparer le réel qui l’entoure. Comme si, lors de la construction de ce paradis solaire, les personnages avaient dérivés de leur chemin pour se retrouver dans une solitude. Le réel est alors angoissant, tandis que l’imaginaire reste une utopie éternelle, un désir impossible à contrôler. Pour éviter de plonger totalement dans l’angoisse du réel, Olivier Babinet utilise la rareté du mouvement et le manque d’énergie romantique pour imaginer une féerie scientifique. Par les images poétiques du point de vue scientifique, POISSONSEXE tente de réenchanter un monde névrosé et dystopique. Le réel échappe complètement à la compréhension des personnages (où les questions de mort, de disparition, de descendance sont évoquées), mais la mise en scène les propulse toujours vers un ailleurs : celui où le romantisme serait à portée de main (science, application de rencontre, station service, une nuit sur la plage, etc).
Pourtant, sur le temps, le film donne le sentiment d’être trop léger, avec un cadre trop attentiste sur les attitudes. Comme si le cadre se refusait d’aller jusque dans la gravité intime de la névrose, pour juste en faire une comédie très fabriquée. Malgré la poésie de la photographie, la tendresse et le surréalisme de la mise en scène, l’aspect comique a parfois tendance à laisser percevoir ses aspects artificiels. POISSONSEXE manque parfois de l’euphorie qui faisait le charme de SWAGGER, qui permettait à l’imaginaire de se connecter directement au réel. Alors qu’ici, la comédie névrosée se compose de quelques vignettes qui ne pensent pas à une réparation du réel, mais à un détachement absurde du réel. Le long-métrage est plus intéressant et poétique lorsqu’il parle de l’acte de création comme un moyen de (re)vivre romantiquement le réel. Par les points de vues de la science humaine et sociale, de la science biologique et mathématiques, de la science des images révélatrices.
POISSONSEXE ; Dirigé par Olivier Babinet ; Scénario d’Olivier Babinet, David Elkaïm ; Avec Gustave Kervern, India Hair, Ellen Dorrit Petersen, Sofian Khammes, Jean-Benoït Ugueux, Alexis Manenti, Okinawa Guerard-Valerie, Edson Anibal, Justin Eng ; France / Belgique ; 1h29 ; Distribué par Rezo Films ; 2 Septembre 2020.