Le nouveau long-métrage d’Arnaud Desplechin est clairement différent du romanesque qu’on lui connaît, tel que COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ…, UN CONTE DE NOËL, TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE, LES FANTÔMES D’ISMAËL pour ne citer qu’eux. ROUBAIX, UNE LUMIÈRE a toutes les caractéristiques d’un film policier. Il est également possible de le voir comme une version désenchantée du romanesque version Desplechin. Parce que le film se déroule à Noël, mais se déroule comme un conte sombre et morbide. Ce n’est plus le romanesque de la parole, cette caméra qui se colle à la parole qui fuse. C’est un geste romanesque du comportement, où la caméra se colle à un environnement imparfait et abîmé. Le rustique de l’environnement filmé par Desplechin n’offre aucune place à l’imagination, car il colle sa caméra de manière brute aux espaces et aux comportements tourmentés.
Le cinéaste débute alors son film par un portrait social de Roubaix, où les rues sont scrutées par les policiers, et le poste de police voit arriver plusieurs habitant-e-s (que ce soit en victimes ou en suspects). L’espace de la ville de Roubaix, avec ses rues et ses parcs, est d’emblée présenté comme le personnage principal. Ce n’est pas une anthropologie ou une sociologie, mais le film explore plusieurs sensibilités et plusieurs relations sociales, avec les agents de police comme les intermédiaires de cette observation. Le cadre explore une tragédie sociale dans une ville à la texture abîmée et meurtrie, où la misère et la violence sont des menaces constantes. Sauf qu’Arnaud Desplechin ne s’en tient pas à cela, car il ne fait pas de cette première partir un pur polar. Les espaces sont moins sombres que dans un film policier classique, grâce à une mise en scène de personnages policiers qui sont entre l’icône et la complexité du regard humain (le cinéaste le développe assez bien entre le commissaire incarné par Roschdy Zem – sans famille ni religion, et le contraire avec Antoine Reinartz – jeune policier maladroit et catholique).
ROUBAIX, UNE LUMIÈRE est plus romanesque d’un polar classique car toute la mise en scène part des attitudes et des regards des agents de police, et non pas des éléments d’enquête(s). Une mise en scène qui se concentre sur une idée : dans ce polar pas très ordinaire, Desplechin s’évertue de « traquer l’humanité ». Le cinéaste cherche une part d’humanité et d’émotions dans les affaires traitées par ces personnages policiers. Et notamment grâce au personnage de Roschdy Zem, un commissaire qui travaille grâce à son regard humain et compatissant, puis grâce à son éternelle intention d’écouter. Toute la mise en scène tient donc à chercher ce qui reste d’humain dans tous ces espaces meurtris et abîmés, ce qui en reste dans toutes ces paroles et ces comportements violent-e-s. Grâce à sa caméra qui se colle aux espaces et aux corps, le cinéaste français cherche à ce que la part d’humanité se dévoile, au lieu de garder la violence comme un masque et une protection.
Malheureusement, tout cela fini par n’être qu’une introduction de moins d’une heure. Certes, le commissaire Daoud ne cesse de « traquer l’humanité » au sein de la violence (avec un brillant Roschdy Zem), mais c’est tout ce qui reste de la première partie lorsque la seconde démarre. Désormais, Desplechin laisse tomber Roubaix comme personnage principal, et plonge pleinement dans l’adaptation du fait divers dont est librement adapté le film (les personnages policiers sont totalement fictifs). Le film dérive sur un film d’enquête classique et très peu passionnant. Ronronnant formellement, car fait de trop nombreux champ / contre-champ et de plans moyens pour aérer les dialogues, la seconde partie du film est un polar qui s’enferme sur lui-même. Tout ce qui a été construit finit par se résumer par un seul arc narratif, par un jeu sur la parole crue / vulgaire avec une grande part de mystère. Outre la recherche d’humanité par le commissaire Daoud, l’esthétique et la mise en scène se résument en deux points : respectivement des plans fixes pour écouter la parole, puis des comportements figés en attente de connaître la vérité de la part des suspect-e-s. Alors que la première partie était très passionnante et très démarquée dans le cinéma de Desplechin, la seconde partie n’a rien à offrir et tombe dans les facilités du film d’enquête. Dommage, car ROUBAIX, UNE LUMIÈRE démarrait fort bien dans l’idée que la fiction fait entrer le regard dans le réel. Le geste est intriguant mais trop fragile.
ROUBAIX, UNE LUMIÈRE
Réalisé par Arnaud Desplechin
Scénario de Arnaud Desplechin, Léa Mysius
Avec Roschdy Zem, Léa Seydoux, Sara Forestier, Antoine Reinartz, Chloé Simoneau, Betty Cartoux, Jérémy Brunet, Stéphane Duquenoy, Ilyes Bensalem, Maïssa Taleb.
France
1h59
21 Août 2019