Santiago, Italia

Quand on parle de Nanni Moretti, on a sûrement en tête ses fables légères et mélancoliques à la fois, des remous intimes lumineux qui ne tombent jamais dans le sentiment facile. Le cinéma de Nanni Moretti réalisateur n’a aucune faute. Jusqu’à SANTIAGO, ITALIA. Tout au long du documentaire, on peut se demander où veut en venir Nanni Moretti, tellement l’intention n’a rien de cinématographique. On pense à L’ESPRIT DE 45 de Ken Loach ou à LE PROCÈS CONTRE MANDELA ET LES AUTRES de Champeaux & Porte, où l’on se demande clairement ce que tout cela fout sur un grand écran. Il n’y a pas de geste cinématographique, il n’y a aucune idée de cinéma, il n’y a rien à apporter à leur oeuvre. SANTIAGO, ITALIA fait partie de ces documentaires qui surlignent terriblement leur racine « document ». Si le film était un livre tel un recueil de témoignages, et qu’il était platement récité sur écran sur RMC Découverte ou Arte, ça serait très proche de SANTIAGO, ITALIA. Sans jamais dénigrer ou pointer du doigt les témoignages, tous saisissants et la grande majorité touchants (parce que Moretti interroge aussi deux anciens militaires), le gros problème est que le cinéaste n’a que cela à proposer. Outre quelques images d’archives qui surgissent ici et là, le documentaire ne se repose que sur la parole, que sur les témoignages.

L’écho effectué avec la société du XXIe siècle, et la situation en Italie où le gouvernement compte une alliance d’extrême-droite, n’est que suggérée. Et c’est normal, car Nanni Moretti dit lui-même qu’il ne pensait pas à cela en tournant et montant son film. Mais qu’avec la situation en question, le film et son propos prend une nouvelle dimension. Ainsi, SANTIAGO, ITALIA ressemble plutôt à un travail de recherche, à une enquête où le cinéaste filme ses recherches et conserve précieusement tout ce qu’il apprend au fil de son parcours. L’accumulation d’entretiens en caméra frontale (avec parfois la voix de Nanni Moretti qui se fait entendre) ne fait pas un film, même documentaire. C’est un film à propos sans forme, rien de plus. Avec ces entretiens, le documentaire demande implicitement aux spectateur-rice-s de s’imaginer l’ambiance de l’époque, nous devons tout faire à la place du cinéaste. Il n’est pas question ici de refuser la participation des spectateur-rice-s, mais un cinéaste se doit de le guider autrement qu’en lui laissant uniquement des paroles. En quelque sorte, SANTIAGO, ITALIA n’est fait que pour parler de son sujet : le coup d’État au Chili en septembre 1973. Et ne jamais parler de cinéma, d’esthétique, de montage, de narration. Car même dans l’organisation des entretiens, le documentaire est terriblement chronologique et scolaire. Même si l’accumulation, au montage, donne l’impression de ne pas prendre le temps de respirer tant il y a de choses à raconter, le film ne sort pas d’un hommage sans fond à la population chilienne.

Filmez un cours d’histoire, et vous obtiendrez pratiquement le même résultat. La nuance est le nombre d’intervenants. Vous aurez du mal à faire intervenir autant de personnes dans une même vidéo de captation. Alors que Nanni Moretti va rencontrer beaucoup de personnes. La bonne idée du documentaire est de donner la parole à des personnes qui viennent de milieux différents, qui sont issus de métiers très différents. Mais Nanni Moretti va rencontrer beaucoup trop de personnes. Si bien que l’accumulation d’entretiens est l’essentiel que l’on aperçoit. A force de raconter, de raconter et de raconter des événements passés, SANTIAGO, ITALIA est cruellement impersonnel. Un documentaire qui préfère se focaliser à parler d’un événement et d’une ambiance qu’il ne peut pas capter (car il ne prend pas la peine de donner une place légitime aux images d’archives – alors que le seul moment très fort est l’apparition d’une photographie d’une femme morte au pied d’un mur), plutôt que de rendre les témoignages personnels. Parce que chaque entretien prend la même direction : partir de l’expérience personnelle pour dénoncer généralement le coup d’État. Pas de complexité donc, pas de nuance, juste un parti pris surligné au stabilo jaune, qui ne creuse pas l’intimité et le traumatisme des personnes interrogées, comme le font brillamment Robert Bahar et Almuneda Carracedo avec LE SILENCE DES AUTRES (sorti le 13 Février dernier). SANTIAGO, ITALIA n’a rien de l’oeuvre que l’on connaît de Nanni Moretti, qui semble prendre une nouvelle direction dans son cinéma, un chemin impersonnel et qui fait fi de tout geste esthétique. Une mélancolie générale récitée, qui ne trouve pas le caractère lumineux des œuvres précédentes de Nanni Moretti.


SANTIAGO, ITALIA
Réalisé par Nanni Moretti
Italie, Chili, France
1h20
27 Février 2019

2 / 5
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