Champs-Elysées Film Festival / Compétition
Réalisé par Josh Kriegman, Elyse Steinberg
Avec Anthony Weiner
Eats-Unis
96 minutes
2016
Immersion inédite et rocambolesque au cœur de la seconde campagne politique d’Anthony Weiner, candidat à la mairie de New York, en plein scandale sur des photos et des attitudes de sa part.
Le plus appréciable dans un documentaire, c’est le traitement accordé à l’image créée. Parce qu’il n’y a pas de contrôle sur le contenu de celle-ci, donc il est nécessaire de l’explorer de la manière la plus rigoureuse possible, pour en rendre le plus d’intérêt possible face au contenu / au propos. Il y a ces documentaires qui utilisent des images passées sans y attacher de point de vue, presque comme un catalogue de situations qui forcent l’émotion. Ici, Josh Kriegman et Elyse Steinberg s’intègrent dans le quotidien du sujet (Anthony Weiner), les images sont pour la plupart en temps réel. Cette immersion permet la soumission des cinéastes face au sujet : la vérité du temps réel livre l’autonomie du protagoniste dans la narration.
En cherchant la vérité en temps réel, le documentaire brise toutes les barrières de la limite, ils prennent le risque d’amplifier le scandale (Anthony Weiner le dit lui-même, face caméra). Mais en repoussant les frontières de la vérité, les cinéastes pénètrent dans l’intimité de l’homme derrière la figure politique : ils filment à la fois ses excursions les plus ordinaires (sur un vélo, aller chercher à manger, dans la voiture, etc) ainsi que sa vie de famille (à l’intérieur de son appartement). Cette incursion dans l’intimité du sujet alimente sans cesse l’humanisation de la politique. Parce que le documentaire ne tend pas à créer un suspense sur la course politique dans laquelle est engagée le sujet, mais à explorer la manière dont une difficulté (le scandale des photographies) peut nuire au comportement et à la psychologie d’un homme.
C’est là que les images d’archives sont admirablement traitées : elles servent toujours l’humour rocambolesque du film, à compléter le bouleversement d’une vie humaine par l’absurdité du buzz. Parce qu’il s’agit surtout d’une situation virale : tout le pays se met à réagir et à se focaliser sur ce scandale. Le documentaire, même si cela n’est pas son objectif premier, parvient à diaboliser l’image médiatique : celle qui tend à d’abord chercher le côté célébrité de toute personne. Parce que les images créent des images, c’est ce qui marque les esprits, c’est ce qui reste indélébile (Internet et son utilisation, notamment). Comme se l’offusque plusieurs fois Anthony Weiner lui-même, les images médiatiques (et ses acteurs principaux, les intermédiaires journalistes) se concentrent sur le côté célébrité et non sur le contenu de la pensée.
C’est à partir de cet élément que tout l’humour du film prend son envol : le rocambolesque permet de confronter l’absurde au sérieux, d’opposer le monde virtuel (les images, la célébrité) au monde en difficulté (les problèmes socio-politiques de la ville de New York). La caméra peut alors être le miroir de ces situations : le documentaire arrive à plusieurs reprises à briser le mur entre le spectateur et le sujet (d’où le choix des entretiens face caméra). Le documentaire, via la caméra, renvoi constamment son absurdité et son propos à la pensée du spectateur : ce que celui-ci doit penser à tel moment, ce qu’il attend et ce qu’il n’attend pas, etc.
A mettre à l’honneur du documentaire alors, puisque à aucun moment il ne souhaite créer un effet catalogue. Il ne juxtapose pas ses situations les unes après les autres pour montrer l’essentiel. Les deux cinéastes prennent le temps d’installer chaque événement, chaque bouleversement, car il leur vient également soudainement. Prenant toujours de plus en plus d’ampleurs, ces événements s’enchaînent comme une vraie narration de fiction dramatique : la tragédie du sujet est aussi la construction du documentaire. Les deux cinéastes savent ou aller chercher les meilleurs éléments : dans l’intimité abstraite et dans l’intensité des confrontations. Un documentaire qui s’amuse donc à pousser le scandale à son plus absurde paroxysme. Délicieux.
4 / 5