Qu’est-ce qu’on nous l’a bien vendu. « 2014, année Fauve ». « Fauve, le phénomène ». Et les paragraphes sur l’expression artistique d’une génération en perte de repères, de la jeunesse prise dans le tourbillon du passage à l’âge adulte, de la peur, du beau, de l’émotion à fleur de peau.
En fait, tout était bien parti. C’était avant 2014. Des concerts de moins en moins confidentiels, des chansons qui réveillent, un groupe qui se révèle. Jusqu’à cet EP Blizzard, le condensé de l’essence du collectif, des morceaux tranchants comme des rasoirs, taillés à même la roche au bord d’une falaise, des textes fulgurants mais aussi une musicalité parfaitement ciselée : la bonne note avec le bon instrument, la bonne séquence, le bon enchaînement. Blizzard, Nuits Fauves, Haut Les Coeurs, Kané… c’était nouveau sans être nouveau, c’était la démonstration ultime de la Musique comme Art de l’expression. Largement de quoi créer la sensation de manière méritée, et satisfaire les adolescents en manque de punchlines dans leur bio Twitter ; dommage collatéral.
Là, las, hélas, Vieux Frères (Partie 1), première salve d’un album attendu pour ne pas dire espéré, dilue la créativité du collectif dans un recueil de titres qui ont perdu de leur mordant. Certes, les textes sont toujours présents, toujours sincères, parfois violents. Tantôt spleen baudelairien, tantôt rage que l’on n’arrive plus à contenir et qui se libère dans un flot de paroles scandées et percutantes. Les chansons continuent de se faire écho, mais ne sont plus aussi bien portées par la musique. Et fatalement, l’impression de se faire piéger par un sentiment de nostalgie, d’intimité perdue. Comment ne pas penser à Blizzard à l’écoute de Tunnel, qui ne lui arrive pas à la cheville ? Comment ne pas se remémorer Kané ou Nuits Fauves avec l’intro de Lettre à Zoé ? Qu’en est-il de Voyou, un morceau bien plus vieux que les autres (« Voyou c’est nous avant Fauve » dit le groupe) revisité avec le rappeur Giorgio pour figurer sur l’album ? C’est tout juste si Infirmière ne vient pas continuer l’aventure de manière salutaire, réunissant enfin le texte et la musique, habités tous les deux de la mélancolie et du mal-être si sincèrement exprimés.
« Parce que ça va trop vite, parce qu’on n’est pas encore prêts », prévenait le groupe sur son EP Blizzard. Oui, c’est allé trop vite. Non, ils n’étaient sans doute pas prêts. Un peu bancal, un peu bizarre, Vieux Frères (Partie 1) — on n’anticipera pas sur la Partie 2 prévue en septembre — a fait mûrir un projet ; pas forcément éclore.
2.5 / 5