Il y a des albums où l’on sait que la chronique qui va en découler va être longue. A la fin de ma première écoute de Total Life Forever, deuxième album de Foals, c’est-à-dire le successeur du Antidotes de 2008, il était évident que nous avions là un sujet à débat. Toute personne connaissant Foals et Antidotes a eu ce sentiment avec Total Life Forever : « ok, là il s’est passé un truc ».
Ce « truc » évidemment, c’est un changement. Radical. Et pourtant… on reconnaît bien là le groupe. Un groupe qui a toujours exploré, surpris, initié. Pouvait-il en être autrement? Pouvait-on réellement s’attendre à une suite directe du premier album? Oui après tout, nous n’avions qu’un seul disque à nous mettre sous la main (et une multitude de démos et faces-B aussi) le champ était libre pour rééditer la performance de 2008.
Mais Foals n’a pas choisi ce chemin. En fait, chez eux il n’y a pas de chemin. Le groupe est d’une grande liberté et se paie donc le luxe de faire ce qu’il veut, nous livrant ainsi son « disque du moment ». Le Foals de 2010 il est comme ça, point. Cela veut dire une chose par-dessus tout : il nous faudra donc redécouvrir Foals à chaque fois. Un exercice difficile évidemment, qui demande un effort que tout le monde n’a pas forcément envie de faire (moi le premier, j’aime la musique accessible, sans pour autant qu’elle soit forcément populaire).
Et là, bien loin du rythme, bien loin du dansant, voici ce que les déçus appellent un album chiant et poussif. Il y avait sans doute de grandes chances que je fasse partie de cette tendance, mince quoi, Spanish Sahara ce n’est pas Hummer! Mais c’est un parfait représentant de Total Life Forever : un album de… math-rock… progressif… on s’embrouille à vouloir le cataloguer. En fait, là où l’on a perdu en énergie, on a gagné en profondeur. Du haut de ses 11 pistes (avec un interlude, Fugue), Total Life Forever fait passer ses émotions par la musique plutôt que par la voix de Yannis Philippakis (certains ne s’en plaindront pas) qui s’en trouve posé, parfois monotone, mais toujours sincère. En témoigne un reconnaissable riff de guitare ponctuant la montée de Spanish Sahara justement, plus expressif que n’importe quel texte.
Le bémol est le même que pour le disque précédent : il tourne un peu sur lui-même, défaut presque obligé quand on décide sciemment de sortir un album composé d’une seule ambiance. Et si Total Life Forever comme Antidotes accepte qu’on regrette un léger manque de renouveau interne, il sera évidemment impossible de faire le même reproche en comparant les deux œuvres entre elles. Toutes deux sont également portées bien haut par des titres ambassadeurs, et Total Life Forever peut compter sur Blue Blood, Black Gold ou This Orient pour jouer ce rôle. Des morceaux qui nous emmènent loin, bien plus loin que sur un dancefloor mais plutôt dans des contrées perdues, et qui fleurent bon l’introspection. Si le but était l’évasion, il est atteint. On n’écoutera pas forcément l’album dans les transports, on ne le passera pas en soirée, mais on se prendra un moment seul avec lui, propice à comprendre pourquoi Foals est un groupe différent des autres.
Je me souviens comment se termine ma chronique d’Antidotes (oui bon, je l’ai relue) : « En conclusion, ne boudons pas notre plaisir : Antidotes, c’est bel et bien le nouveau son de 2008. Il n’est bien sûr pas consensuel, mais loin des revivals servis plusieurs fois par mois, il a cette qualité énorme et si rare : il fait avancer la Musique. » C’est encore plus évident maintenant. On entend rarement quelque chose comme du Foals. Et pour cette année, c’est nouveau, encore. C’est atypique, c’est osé, c’est décalé, c’est sûrement très ennuyeux si on veut absolument le comparer à Antidotes, mais si l’on regarde chacune ces deux productions comme un pavé jeté dans la mare de leur époque (2008 et 2010) alors elles ont beaucoup en commun. Ce sont des disques incroyablement courageux, à contre-courant, en totale abstraction de quelconque influence extérieure (ce qui est extrêmement rare), et surtout ils ont ce côté unique. Je ne dirais pas forcément « d’avant-garde », mais véritablement à part. Le raccourci entre « à part » et « mauvais » est juste un peu trop facile à faire. Et cette fois ce raccourci, je ne le ferai vraiment pas.
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