Trissotin ou les Femmes Savantes

Texte de Molière. Mis en scène par Macha Makeïeff. Avec Marie-Armelle Deguy, Vincent Winterhalter, Arthur Igual, Maud Wyler, Vanessa Fonte, Geoffroy Rondeau, Thomas Morris, Ivan Ludlow, Atmen Kelif, Karyll Elgrichi, Arthur Deschamps, Camille de la Guillonnière.

Tous les ans, bon nombre de metteurs en scènes français se lancent dans les textes de Molière. Pour en avoir vu plusieurs chaque saisons, ce n’est pas toujours très glorieux. L’AVARE avec Weber était une catastrophe, et c’est sans parler du MISANTHROPE de Jean-François Sivadier, hyper statique et sans âme. La meilleure adaptation était à mettre au compte de Denis Podalydès, dont l’absurdité a rejoint celle de Molière pour LE BOURGEOIS GENTILHOMME. Ici, Macha Makeïeff touche à des thèmes qui lui sont chers : la féminité et les années 1970. Elle les explore en mettant scène LES FEMMES SAVANTES.

Retour aux origines
Il y a un ajout particulier dans la version de Macha Makaïeff : la musique. Même si la pièce d’origine ne contenait pas de chansons ou de danses (certaines de Molière en ont, comme Amphitryon), la metteur en scène en inclut ici. Tel un hommage, ou un clin d’oeil, aux pièces les plus déjantées du dramaturge. Cela ajoute une ironie supplémentaire, car ce sont les personnages les plus insensés (dans la mise en scène) qui chantent le plus. Et ces instants chantés, qui sont tout simplement le texte converti en chant, sont une façon de montrer l’art total dans lequel évolue la pièce version Makaïeff. Déjà que Molière se portait vers les inventions et les idées de la Comedia Dell’Arte, ici il y a des soupçons de théâtre traversé (les diapositives, la musique, le lecteur cd, la machine à écrire, les tubes de chimistes, …).

Comme si la version des FEMMES SAVANTES de Macha Makaïeff veut un retour aux origines. Parce que la question féminine n’est pas à mettre au solde de la metteur en scène. Cette comédie est l’avant-dernière de Molière, et met les personnages féminins au centre de l’intrigue, chose rare chez le dramaturge. Le détail qui fait la différence dans ce retour aux origines, c’est que l’un des personnages féminins est interprété par un comédien, chose qui arrivait souvent chez le dramaturge. Pourtant, le grand détail qui fait revenir le spectateur aux origines, est ailleurs. Il s’agit d’une idée de surprise : celle où on ne sait jamais ce que les comédien(ne)s vont apporter avec eux des coulisses. Il y a une volonté de conserver la connaissance du texte (aucune surprise pour les connaisseurs de Molière) mais tout réside dans sa mise en scène : comment appuyer le texte avec des objets ? Macha Makaïeff en déplace, en ajoute et en enlève sans cesse.

Le jeu de l’espace
Ce qui nous amène à parler du jeu de l’espace scènique. Bien que le théâtre ne contient qu’un seul et unique cadre, Macha Makaïeff l’utilise comme si le spectateur pouvait y poser plusieurs regards à la fois. Elle recouvre la scène de plusieurs idées de mouvements, et son décor devient aussitôt plus vivant et polyvalent. Comme dit précédemment, il y a l’idée que le décor est sans cesse modifié. Parmi tous les objets présents sur scène, nous pouvons trouver des tables, des chaises, des fauteuils, des tapis, … qui sont toujours déplacés, retirés et amenés par les comédiens. Cela implique un mouvement perpétuel, parce que même les comédiens qui ne parlent pas à un instant donné, servent à ré-aménager la scène et le décor. La staticité est alors impossible, et chaque objet devient une source potentielle de mouvement.

Le décor n’est alors pas uniforme, jamais dans la même perception. Parce que le mouvement est perpétuel, l’ambiance se transforme à chaque fois que le décor bouge. Macha Makaïeff a senti ce besoin de proposer plusieurs cadres selon les tons abordés. L’ironie est alternée avec l’absurde, cela permet de composer une scène unique à chaque situation. Dans ce jeu de l’espace, les objets sont des compléments au texte, au jeu des comédien(ne)s. C’est ainsi que la perception de l’ambiance se transforme petit à petit, car les personnages sont tous différents les uns des autres, et leur points de vues sont tous épousés.

Modernisation de l’absurde
Ainsi, Macha Makaïeff se permet de modifier le ton de la pièce. Avec une telle scénographie et une transposition comme celle-là, elle ne pouvait revenir à l’humour de Molière. Elle se devait se moderniser l’absurde de la pièce. J’ai pu entendre à la fin de la représentation un avis parlant de mise en scène « hystérique ». Au contraire, la mise en scène de Macha Makaïeff contourne cette hystérie pour être dans la métaphore du burlesque. L’absurdité se tient dans l’image, plus précisément dans la façon dont les personnages sont perçus. Leurs costumes, leur coiffures et leurs tenues sur les objets sont tous les arguments d’une mise en scène absurde.

Il y a notamment la volonté de travailler sur le mystère. Le spectateur est constamment trompé entre ce qui est vrai et ce qui est faux. La musique apporte beaucoup dans cette idée de l’absurde, mais c’est surtout dans les attitudes des comédien(ne)s qu’elle se trouve. Les personnages masculins sont proches du débordement et de la maladresse naturelle. Tandis que les personnages féminins sont dans la confiance (peut importe leur philosophie) et l’excès ; les comédiennes sont toutes magnifiques par leur grâce qui fait écho à chaque élément de décor (les fenêtres s’effacent, les fauteuils les accueillent comme une évidence, …). Comme si les personnages masculins sont des anachronismes avec le décor, au contraire des personnages féminins, alors que la distance entre les corps permet aux deux de coexister dans l’absurdité.

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