Depuis aussi longtemps que j’écris ici, je cherche à défendre éperdument la mise en scène des espaces dans lesquels sont intégrés des personnages de cinéma (et même dans les documentaires, évidemment). Pas toujours satisfait dans cette recherche, trop souvent au profit d’une gestion purement décorative et contextuelle des espaces, je me suis régalé avec le premier long-métrage de Jonah Hill. 90’S a peut-être une nostalgie dans son format 1:33, mais il faut y voir bien plus loin que cela. Car le 1:33 est, avec le Scope, les deux formats qui représentent le mieux une gestion de l’espace (cela ne signifie pas qu’elle est automatique). Dans son premier long-métrage en tant que cinéaste, Jonah Hill capte le mouvement d’une jeunesse dans les années 1990 aux États-Unis, il capte ce déploiement d’énergie et de liberté. Grâce au format d’image, le cadre saisit ce qui fait basculer un regard, un silence, une paisibilité et un mouvement.
Davantage qu’un film de personnage(s), le jeune protagoniste incarné par Sunny Suljic est un moyen pour nous spectateur-rice-s d’entrer dans un autre univers : passer donc de la maison familiale aux nombreux tourments, pour aller vers l’extérieur où l’on peut se défouler sur les toits et dévaler toute une rue en skateboard. Davantage que des personnages, 90’S s’adonne à explorer la sensation d’une époque à travers les espaces. Tout est constamment en mouvement : les comédien-ne-s entrent et sortent du cadre, les corps traversent les images et mettent tout leur corps à l’oeuvre, la caméra a toujours un mouvement à convertir, la musique amplifie la nostalgie ou la cruauté des espaces. Tous ces mouvements sont des témoignages de moments instantanés, de morceaux de vie qui constituent un mode de vie encré à un espace. Il s’agit d’embrasser tous les espaces possibles, afin que la mélancolie y deviennent un échappatoire éphémère. Car n’oublions pas que le récit se déroule durant un été, alors il y a forcément quelque chose de l’ordre de l’instantané qui se terminera à un moment donné.
Ces espaces sont la projection d’une émancipation recherchée par le jeune Steevie. Mais Jonah Hill ne fait pas un film plein de fantaisie. Au contraire, l’âpreté et le désenchantement s’emparent de l’esthétique pour avoir un regard très authentique sur ces mouvements. Parce que l’apprentissage et l’émancipation de Steevie se révèlent très physique, violente et cabossé-e (il y a toujours des moments graves et tragiques), alors les espaces font jaillir une gravité qui se cache derrière une beauté. Le format d’image permet à la fois une idée de l’isolement de la société environnante, mais aussi de créer ses propres espaces. Les jeunes personnages s’approprient et se créent ces espaces qu’ils traversent. Alors que la maison familiale est tout ce qu’il y a de plus brutal et sauvage, l’extérieur est un territoire de liberté où la bataille intime se conjugue en errance. Dans ces espaces extérieurs, les mouvements sont ceux d’une famille qui naît progressivement. Il s’agit d’une famille hors du sang, qui se compose par le mouvement instinctif, par une révolte humble qui retrouve une fraternité disparue dans le cocon familial. L’espace extérieur comme la scène qui chorégraphie la liberté, l’apprentissage et la mélancolie.
L’espace extérieur comme théâtre des sensations pour transcender le mouvement. Telle une jungle avec tous ces animaux sauvages, où le nouveau né va devoir apprendre par lui-même, puis va chercher à intégrer une tribu. Ainsi, l’errance s’effectue sur la base de complexités. Car ces espaces ne sont pas composés de personnages similaires. Ils sont tous absolument complexes, ils ont tous leur propre récit intime, qui les pousse à s’élancer instinctivement et dangereusement dans les espaces extérieurs. 90’S donne vie à des pulsions et à des troubles, où il faut tomber pour mieux se relever et continuer à avancer. C’est en cela que les espaces sont si importants dans le film, parce que Jonah Hill leur accorde toute leur importance dans l’évolution des personnages. Aussi divers qu’ils soient, les espaces sont des ricochets dans la quête rêveuse des personnages. Parce qu’au fond, ce ne sont pas les mots qui en disent le plus dans ce film, mais bien les comportements et les mouvements dans les espaces, comme des larmes de confession, ou des regards lointains pour exprimer un éloignement fatal. Que ce soit dans ses portraits intimes, dans ses mouvements ou dans ses espaces, 90’S est simplement et tendrement troublant.
90’s (mid90s)
Écrit et Réalisé par Jonah Hill
Avec Sunny Suljic, Katherine Waterston, Lucas Hedges, Na-kel Smith, Olan Prenatt, Gio Galicia, Ryder McLaughlin, Alexa Demie
États-Unis
1h25
24 Avril 2019
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