Il était une fois… INCASSABLE en 2000 et SPLIT en 2017. Deux films d’une trilogie par M. Night Shyamalan qu’il conclut avec GLASS. Samuel L. Jackson et Bruce Willis sont de retours, ainsi que James McAvoy et Anya Taylor-Joy. L’intrigue se déroule 3 semaines après SPLIT et 19 ans après les événements de INCASSABLE. Mais voilà, M. Night Shyamalan ne fait pas des suites pour uniquement faire des suites. Ses personnages se développent et se nuancent selon les trois films. INCASSABLE est un film de super-héros moderne, SPLIT lorgne entre l’horreur et le thriller, tandis que GLASS est plus personnel et dramatique. Une conclusion de la trilogie qui ne cherche pas à faire confronter ses personnages (Shyamalan a compris que ce n’est pas le but), il montre l’évolution intime des protagonistes de INCASSABLE tout en développant le trouble apporté par le protagoniste de SPLIT. Une conclusion digne, donc, qui clos évidemment le chemin tracé mais qui propose encore un regard nuancé sur ses personnages. Parce qu’en tant que conclusion, Shyamalan sait qu’il doit délivrer une forme de confrontation, mais il compose à nouveau avec ses légendaires twists. Et GLASS, c’est l’inverse de ce que l’on pouvait attendre d’un film de super-héros. Toutes les suggestions d’action, de scènes spectaculaires et de bouleversements sont déjouées, pour entrer encore davantage dans le caractère dramatico-intime des protagonistes.
GLASS est un film qui creuse l’esprit de ses personnages, qui définit le présent par le passé et par le futur, mais aussi qui les caractérise par leur foi et leur croyance en eux-mêmes. A nouveau, comme il l’avait fait avec INCASSABLE, M. Night Shyamalan réalise un film sur la foi et sur la croyance. Mais encore plus que le premier film de la trilogie, GLASS est très théorique et porté sur le côté métaphysique de la croyance. Avec son esthétique pleine de captation des regards, le cinéaste saisit des personnages semblables à une mythologie. Ses trois protagonistes sont des êtres à part, qui se tiennent des héros qui sont prêts à bondir, mais qui doivent d’abord réfléchir et théoriser leurs actes. Ainsi, la conclusion de la trilogie se définit par ces moments où les héros s’apprêtent à passer à l’action, mais qui préfère se focaliser et explorer ces instants de préparation. Tout est question de temporalité, de prendre le temps d’installer des destins qui finissent par s’entrechoquer. Mais c’est aussi un film sur la foi de son cinéaste. Après une longue période d’accueils très très mitigés entre INCASSABLE et SPLIT, M. Night Shyamalan fait croiser ce qui a fait sa réputation, pour retrouver un plaisir de faire du cinéma, pour filmer quelque chose qui s’est brisé dans son geste de cinéaste. Mais évidemment, il filme la souffrance de l’enfermement, celle d’être attendu pour une suite à INCASSABLE, et aussi celle que subissent ses personnages pour faire quelque chose de différent.
Pour cela, M. Night Shyamalan a plusieurs cordes dans son arc de mise en scène. Il parle de la mort à travers les corps enfermés, les chaînes qui les empêchent de bouger, la technologie qui les piège, et ces corps qui cherchent la confrontation ultime. Chaque mouvement est un pas supplémentaire vers le chaos annoncé, où ces héros savent que de forts dégâts seront commis. Sauf que, dans sa mise en scène, M. Night Shyamalan montre également que ses héros possèdent une grande conviction intime. C’est là qu’intervient le personnage de Sarah Paulson, qui permet implicitement de faire grandir la croyance intime des trois héros. Elle déclenche le déploiement du mouvement, le déploiement des capacités surhumaines des héros. A partir de là, la mise en scène déroule son lot de suggestions dans les attitudes des trois héros, mais la suggestion est surtout dans le contrôle. Le personnage de Sarah Paulson est un écho de M. Night Shyamalan, qui peut contrôler tel ou tel mouvement de ces trois héros, ou du moins avoir la conviction de pouvoir. Car si le cinéaste a bien compris quelque chose sur ses personnages, c’est qu’ils développent leur propre conviction : là où INCASSABLE et SPLIT étaient très personnels, GLASS propose un univers élargi et la conviction d’avoir une infinité de possibilités. Le film convoque un univers de super-héros plus largement et s’offre d’ouvrir les portes de la connexion entre les humains et les surhumains.
M. Night Shyamalan n’a plus besoin de présenter ses personnages, mais cela ne l’empêche pas de les développer encore et toujours. Que ce soit avec des flashbacks totalement inventés pour le film, ou avec le point de vue de l’enfermement et du chaos qui se croisent, GLASS est une connexion magnétique entre les personnages et les deux précédents films. Outre la confrontation annoncée entre La Bête et David Dunn à la fin de SPLIT, le personnage central est bien Elijah (ou Mr Glass, d’où le titre du film). Depuis INCASSABLE, il ce personnage est mis sous silence. Et comme M. Night Shyamalan, il met en scène et manipule les deux autres héros. A la différence de la psychiatre jouée par Sarah Paulson qui contrôle ces héros et questionne leur statut de super-héros, Elijah est celui qui finira par absorber le récit et toute l’attention. Car c’est lui qui, finalement, magnétise le combat et brise le statut des trois héros. A plusieurs moments, dès que Elijah reprend la lumière de la mise en scène à la psychiatre, les trois héros se retrouvent à avoir la conscience qu’ils sont comme des êtres fictifs par rapport à tous ceux qui les entourent. Ils finissent par être le sujet de l’étonnement, et le sujet des passions.
Cela se retrouve entièrement dans l’esthétique de M. Night Shyamalan. Soumis à la remise en question, à la folie mais surtout à leur conviction intime, les trois héros sont imprégnés d’une dualité (on pourrait dire : être ou ne pas être un super-héros ?, si on veut exagérer le propos). Ainsi, le cinéaste mélange habilement les deux genres dans lesquels il a inscrit les deux précédents films. Le film de super-héros méta qu’est INCASSABLE et le thriller horrifique qu’est SPLIT. Tout au long du film, le cinéaste convoque des images sombres quand il s’agit de créer le mouvement chaotique provoqué par les corps. Mais quand il s’agit de théoriser et d’être dans une phase psychologique pour les personnages, le film se dote d’images fixes, froides et surtout frontalement perturbante. En multipliant les cadres frontaux, GLASS offre une esthétique mentale qui fait directement appel aux sensations vives des personnages. On pourrait même dire que le film se dote d’une esthétique hallucinatoire que les deux précédents films ne possédaient pas. M. Night Shyamalan joue beaucoup sur les ombres, sur les hors-champs à la fois attirants et oppressant, sur les distorsions sonores, sur les panoramiques, sur la manière de filmer des combats, sur les miroirs et les reflets déformants, etc… GLASS n’est donc pas un film de super-héros, ni un thriller, ni même un film fantastique. C’est bien un drame qui se sert de ces super-héros pour créer l’hallucination autour de personnages/personnes différentes. Même le syndrome de Stockholm est mis en scène et filmé comme quelque chose de tolérable et différent. Parce qu’au fond, même si INCASSABLE et SPLIT étaient à propos de découvrir des êtres différents et surhumains, GLASS conclut en disant que nous n’avons pas halluciné, que ces personnages ont aussi une charge émotionnelle et psychologique intime.
L’hallucination et l’esthétique mentale ne s’arrêtent pas là, elle se propage jusque dans le scénario, avec beaucoup de parole. C’est peut-être le seul véritable problème du film : durant toute sa longue période dans l’hôpital psychiatrique, GLASS est bien trop bavard et va peut-être faire sortir plus d’un-e spectateur-rice du film. Or, même s’il s’agit des plus beaux moments du film, il aurait plus cohérent d’écourter cette exploration mentale et théorique sur le statut des super-héros. Et même si cette hallucination peut parfois faire penser à une écriture et une mise en page digne des comic-books, le film ne donne pas réellement le sentiment d’apporter quelque chose de nouveau à la trilogie. Toutefois, c’est une conclusion digne qui donne le sentiment de ne pas être resté sur notre fin, qui prend une nouvelle direction avant de finir l’histoire. Nous sommes également en droit de demander : et maintenant que cette trilogie est terminée, qui contient vos meilleurs films, où allez-vous M. Night Shyamalan ? Que pouvez-vous proposer cinématographiquement d’autre ?
GLASS
Écrit et Réalisé par M. Night Shyamalan
Avec James McAvoy, Bruce Willis, Samuel L. Jackson, Sarah Paulson, Anya Taylor-Joy, Spencer Treat Clark, Charlayne Woodard, Luke Kirby, Adam David Thompson
États-Unis
2h10
16 Janvier 2019
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