Il y a toujours un personnage appartenant au monde artistique dans les films de Hong Sang-soo, constituant toujours une porte d’entrée vers une approche poétique et sensorielle de la vie des personnages. Dans HOTEL BY THE RIVER, le cinéaste double sa porte d’entrée vers la poésie en captant la neige qui recouvre tout le paysage. Comme les personnages qui s’en étonnent, car cela est « inhabituel », il s’agit de saisir un événement qui cause un dérèglement. La succession de plans-séquences prend donc tout son sens. Hong Sang-soo suspend plusieurs moments durant ces vingt-quatre heures, telle une journée qui flotte à la dérive de toutes les autres. Tous ces moments sont des sensations partagées, des tourments avant une sensation de mort imminente. Comme si la vie se mettait sur pause, pour capter ce qui se fane et ce qui disparaît à petits feux, avant de s’évaporer définitivement. Avec ses plans-séquences, le cinéaste donne des derniers souffles à ses personnages tourmentés, et déstabilise ceux qui en témoignent. Chaque moment permet de superposer une vie passée et une mort future, d’extraire cet entre-deux grisaillant.
D’où l’intérêt de ce lieu unique de l’hôtel. Près de la rivière, dans une distance avec toutes les autres habitations sur l’autre rive, l’hôtel est un lieu qui accueille et libère toute la mélancolie et les émotions. Tel un édifice qui s’érige comme lieu de passage avant la disparition, lieu des dernières sensations et des dernières pensées. Si bien que Young-Hwan refuse d’accueillir ses propres films dans sa chambre d’hôtel, ne leur parlant que dans le café-restaurant de l’hôtel. Les chambres sont comme des capsules transportant les personnages vers l’inconnu et vers un au-delà, tandis que le café et la neige extérieure sont le peu de poésie qui reste, cette part d’humanité qui a encore les pieds sur la terre ferme. Il faut remarquer aussi que les espaces de l’hôtel sont désertés. Hong Sang-soo se contente de ses cinq personnages, avec une hôtesse d’accueil à l’hôtel (évidemment). Tout le reste est vide, ces longs couloirs déserts sont troublants, tout comme ce paysage enneigé que personne ne traverse. Des paysages qui se confondent dans le Noir & Blanc des images, ne faisant plus qu’un seul espace spectral. Les personnages sont comme en apesanteur, constamment dans la distance avec le réel qui est désormais hors de portée.
HOTEL BY THE RIVER contient aussi un travail sur la notion de mystère, en accentuant à quelques reprises un certain effroi vis-à-vis du hors-champ. À plusieurs moments, Hong Sang-soo abandonne son plan-séquence et se lance dans des plans contemplatifs en continuant ses dialogues en voix-off. Avec des regards fixes sur le hors-champ, ou des mouvements de corps qui se dirigent vers l’horizon inconnu de l’arrière-plan, il y a l’intention de jouer sur l’ambiguïté. Celle qui sépare le réel très physique avec des pensées très axées sur l’imaginaire et le mystère de la disparition. Tels des fragments au sein même des plans-séquence, formalisant concrètement la peur des personnages et leur inquiétude face à l’avenir. Alors que les allers et retours entre les étages et le rez-de-chaussée se multiplient, ces moments face au hors-champ sonnent au montage comme l’appel progressif de la mort.
Au point que les zooms prennent un tournant différent ici. Même si le geste peut repousser certaines personnes, les zooms sont comme des mouvements brusques qui viennent créer la rupture de l’effleurement, qui capturent cette radicalité dans le crépusculaire. Tels des aléas esthétiques se connectant à la mélancolie soudaine. Hong Sang-soo n’hésite pas avec l’apport de symboliques : l’entrée surprise dans le champ du cadre, cette plante qui manque d’eau alors qu’il en coule énormément dans la rivière, l’architecture ambiguë des couloirs de l’hôtel comme des couloirs de la mort, etc. Même que Hong Sang-soo n’hésite pas à intégrer encore une fois un personnage cinéaste. Et même si certains personnages sont des artistes, constituant une anecdote narrative qui est davantage un prétexte, ils permettent de créer une porte d’entrée vers la poésie. Une poésie davantage formelle que physique, tant le bavardage cher au cinéma de Hong Sangsoo fait encore des ravages ici. Ces instants suspendus avant la disparition n’est pas une excuse pour le manque de mouvement, qui sont parsemés dans certaines fulgurances extérieures. Il est fort dommage de voir que les espaces deviennent finalement que des lieux de confessions, plutôt que des expériences physiques et émotionnelles, même si l’onirisme est au rendez-vous. HOTEL BY THE RIVER est un très beau film, par son esthétique troublante et crépusculaire, mais également très bavard dans son ton posé alors que les points de vue se confrontent.
HOTEL BY THE RIVER ;
Écrit et Dirigé par Hong Sang-soo ;
Avec Gi Ju-bong, Kim Min-hee, Kwon Hae-hyo, Song Seon-mi, Yoo Joon-sang ;
Corée du Sud ;
1h36 ;
distribué par Les Acacias ;
29 Juillet 2020