La Princesse de Montpensier

Le dernier Tavernier est une adaptation de la nouvelle éponyme de Madame de La Fayette, et ça se sent : c’est avant tout un film de mots, de dialogues, et un récit qu’on nous fait, à nous spectateurs. Ayant pour cadre les guerres de religion, il nous parle de guerre et d’amour. Surtout d’amour : la guerre en toile de fond nous renvoie à des aspects quelque peu crus et rudes de la vie quotidienne, mais sa principale fonction (subordonnée à l’amour dans le tissu même de l’intrigue), c’est d’éloigner le mari, d’orchestrer les mouvements des hommes autour de la femme, autour de la princesse.

Pour peu qu’on le goûte, un des grands plaisirs de ce film, ce sont les mots, qui sonnent délicieusement et souvent avec beaucoup de naturel dans la bouche des personnages. Il est vrai que certains personnages secondaires ne sont à ce titre pas très convaincants, et Grégoire Leprince-Ringuet (prince de Montpensier, le mari) peine à donner vie à son texte… mais voyons le bon côté des choses, on n’en apprécie que mieux le talent et l’énergie des autres, en tête Mélanie Thierry (Marie de Montpensier), Lambert Wilson (comte de Chabannes, son confident, amoureux, évidemment) et Gaspard Ulliel (Henri de Guise, l’amant), qui parviennent à insuffler dans la langue du 17e les élans de vie spontanés, les émois de la passion, si bien que l’on se sent proche de ces personnages, loin de la reconstitution compassée. L’attrait du film est à chercher du côté des personnages et de l’intrigue, plus que dans la mise en scène, qui ne présente rien de bien intéressant ou novateur. La Princesse de Montpensier n’en demeure pas moins un film agréable, non dénué de malice et de caractère. Et le personnage de la princesse n’y est pas pour rien : image « féérique », comme le dit Anjou, beauté blonde aux yeux bleus, qui dès qu’elle ouvre la bouche se montre pleine d’esprit, femme de caractère qui ne renie pas si facilement sa sensualité.

Cette beauté, c’est presque la faute, la faille à l’origine de la tragédie, qui fait que tous les hommes, comme inéluctablement, sont amoureux d’elle ; à moins que cette faille ne soit plus généralement la folie de l’amour. L’élément déclencheur, c’est le mariage à un homme qu’elle n’aime pas. Une scène au début du film décide de tout, et résume tout : Marie est entre, d’un côté, Montpensier, à qui l’on annonce son prochain mariage avec la jeune fille, et de l’autre, Guise (qu’elle aime et dont elle est aimée), à qui la même nouvelle est annoncée : Marie, au milieu, n’entend rien mais comprend tout, et c’est des réactions à et conséquences de cette décision que va se former le récit. Montpensier deviendra lui aussi un personnage central, à sa manière, amoureux malheureux et victime tragique, marié à celle qui est par tous les hommes aimée sitôt vue, comme une malédiction.

La guerre est presque traitée comme une métaphore précieuse : la dernière phrase prononcée en voix off par la princesse nous annonce qu’elle se retire de l’amour, comme Chabannes s’était retiré de la guerre. Se retirer, c’est renoncer à la passion : aux ennemis, aux amants, aux amours contrariées. Elle prononce la fin de sa vie une fois délaissée par celui qu’elle aime, mais aussi sur la tombe d’un de ceux qui l’aimaient ; ne lui reste que son mari, et donc une vie qui ne sera plus qu’une succession de jours, et qu’elle espère courte. Fin de ce qu’elle juge digne d’appeler « vie », fin du film aussi : comme la conclusion d’un conte, qui nous rejette dans notre présent loin de ce passé. Fin d’une histoire édifiante (la moralité du 17e en moins), qui semble nous rappeler que le sujet du film est la passion plus que la princesse. L’œuvre de Madame de La Fayette marquait les débuts du roman français moderne qui dépeint et analyse l’intériorité, et le film tire un certain charme d’avoir conservé un peu de cette oscillation entre conte et subjectivité. Les personnages paraissaient proches de nous, ils semblent désormais prendre des teintes lointaines. L’histoire est close ; nous reste, si l’on veut, à la réécouter.

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