Suite Française

Réalisé par Saul Dibb. Écrit par Saul Dibb et Matt Charman. Avec Michelle Williams, Kristin Scott Thomas, Matthias Schoenaerts, Sam Riley, Ruth Wilson, Tom Schilling, Margot Robbie, Eileen Atkins. Royaume-Uni / France. 107 minutes. Sortie française le 1er Avril 2015.

Il y a une grande tradition dans le cinéma britannique, celle d’adapter d’autres oeuvres. Chez les british, il y a comme un lien évident entre le cinéma, la littérature et le théâtre. Les histoires vraies représentent également un fonds perpétuel d’inspiration pour le cinéma britannique. SUITE FRANCAISE ne déroge pas à cette règle. Saul Dibb adapte à la fois un récit écrit (ici une sorte de journal intime ou journal de bord) tout en re-construisant une époque historique. Les premières vingt minutes retranscrivent cet esprit de tradition. Il y a cette progression si lisse mais tout aussi subtile, qui passe avec évidence, entre le quotidien et l’arrivée des allemands. Les ennemis sont gardés à distance, pour rester dans le regard de spectateur angoissé et impuissant. Comme cette attaque des avions sur un train, le point de vue est celui des français qui s’arrêtent en plein chemin pour regarder le bombardement. Intelligemment, Saul Dibb ne montre pas le train ou les avions en plan rapprochés, l’action reste éloignée. L’importance se trouve sur le chemin, là où les français courent se cacher dans le champ. En cadrant constamment les personnages dans le champ, le cinéaste crée la distanciation avec l’ennemi.

Le reste du film, à partir de l’emménagement du lieutenant allemand chez l’héroine, est plus chaotique et redondant. Cependant, il y a une idée récurrente chez Saul Dibb, dans son découpage. Le cadre agit beaucoup comme un effet d’émancipation. Que ce soit dans THE DUCHESS ou dans SUITE FRANCAISE, Keira Knightley et Michelle Williams sont rarement filmées de dos. La caméra suit, le plus souvent possible, la marche des actrices. Ce sont elles qui dirigent le cadre, car leur présence au premier plan est le renforcement de leur affirmation. A travers ces présences délicates mais encrées dans l’image, les héroines dégagent de l’espace autour d’elles. Le découpage devient alors le fruit de leurs attitudes.

Même si le découpage est encré dans un style, Saul Dibb tombe dans le piège du montage facile. L’agencement des plans n’offre pas le dynamisme promis par les vingt premières minutes. Autant cette exposition livre une énergie tranquille, qui ne fait pas dans l’excès des changements d’angles de vue, mais qui propose de ressentir par l’observation. Le cinéaste gardera cette idée tout au long de son film, où la durée des plans renforce la lenteur du récit. Le long-métrage désire progresser doucement, mais n’a d’autres choix que se diriger vers l’évidence pour la succession des plans. A force de laisser observer son héroine, dans un mélodrame ordinaire, le montage ne crée ni de rythme ni de narration.

C’est le même défaut qui arrive dans la mise en scène de Saul Dibb. Alors que THE DUCHESS mélangeait passion et illusion, SUITE FRANCAISE plonge complètement dans le mélodrame. Le cinéaste s’enlise dans une mise en scène pauvre, remplie de mièvrerie, et constamment en attente de gros moments d’émotions. Pour que le film prenne son envol, il faut à chaque fois attendre un possible revirement de situation. C’est ce qui arrive quand on a un casting aussi bankable. Je suis certain qu’un casting britannique aurait apporté davantage de vitalité dans cette mise en scène. Parce qu’il y avait une idée assez sympathique, certes pas très développée. Là où il y a une dualité entre la tyrannie (ou le joug) de l’intérieur et la paix de l’extérieur, il y a tout de même un va et vient constant entre des ces espaces. Ces allers-retours intérieur / extérieur se font sans aucun conflit, sans aucune remise en question de l’occupation (par qui que ce soit).

La pauvreté de la mise en scène et la facilité du montage vont de paire dans l’inutilité de l’esthétique. Dans l’observation de l’héroine, et donc des scènes, les plans se focalisent sur ses personnages. Mais ne les confond jamais dans le décor. A partir de là, les allemands ne sont jamais des intrus dans l’espace, mais des intrus dans la vie sentimentale. Ainsi, Saul Dibb ne peut pas pousser son esthétique comme la fureur des fantasmes dans THE DUCHESS. Pourtant, le cinéaste a essayé de sauver les meubles, et l’esthétique est noyée dans une démonstration poussive des couleurs et de la lumière. Vraiment dommage que ces personnages se démarquent des décors et n’interagissent pas avec.

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