Écrit et Réalisé par Stéphane Lafleur. Avec Julianne Côté, Catherine St-Laurent, Marc-André Grondin, Francis La Haye, Simon Larouche, Godefroy Reding. Canada / France. 95 minutes. Sortie française le 18 Mars 2015.
Le pitch est très simple, car il repose sur l’idée d’une jeune femme de 22 ans qui est insomniaque et qui passe l’été avec des amis. A partir de là, Stéphane Lafleur doit gérer ses 90 minutes dans une intrigue qui ne doit jamais fléchir. En effet, le film se présente comme une chronique qui ne connait pas de réels bouleversements. Les évènements présentés sont à la fois des climax doux et des évidences du récit estival. Un peu comme le geyser que l’on apperçoit au début du film, où toute scène prend son ampleur dans la tranquillité et la logique la plus totale. A partir de cette idée, la temporalité offerte par le film est très abstraite. Avec de nombreuses ellipses et des écrans noirs entre chaque séquence, il est impossible de situer le film sur un intervalle de jours précis. C’est là qu’on comprend que l’été de la protagoniste Nicole est capté telles des vignettes. Un été sous forme de brides de vie, qui auraient pû même laisser leur place à d’autres.
Ah ce qu’on s’emmerde ici
L’abstraction du film se joue aussi sur une autre idée simple. Celle du découpage en plans fixes. Le film ne compte pas plus de cing travellings, et aucun panoramique. Les plans fixes dominent tout le découpage, et ainsi le montage. Voué à la contemplation, le film a l’argument fort des plans fixes pour manipuler le spectateur. Malgré cette contemplation, le cinéaste Stéphane Lafleur choisira un contre-point en marquant ses plans fixes par des surprises. Chaque plan suivant parait évident, quand soudain le film prend une autre direction. C’est de là que le film tient toute sa tendresse et son énergie. C’est par là que Stéphane Lafleur et Julianne Côté, magnifique dans son premier rôle principal, tiennent le spectateur. Julianne Côté, comme Catherine St-Laurent, sont filmées avec perplexité mais surtout avec un esprit chaleureux. Elles peuvent faire penser à Greta Gerwig dans FRANCES HA, mais en moins survoltées.
Au-delà de cet esprit chaleureux, qui est présent pour éviter de perdre le fil et le spectateur, le film joue sur la perplexité du cinéaste. Que ce soit dans l’écriture ou à l’image, le film révèle avant tout une exploration de la mélancolie. Mais il s’agit d’une mélancolie de l’environnement, de la personnalité. Là où ne rien faire est synonyme de quotidien. Là où les minutes, les heures et les jours défilent dans la répétition, sans la nostalgie d’une idée. La protagoniste a un boulot (on pourrait penser à un job d’été) et passe son été à rien faire dans la maison de ses parents (tant qu’ils sont absents). Sans passion, sans motivation particulière, la protanogiste donne l’impression d’errer dans son propre environnement. C’est ainsi que se définit son univers, dans lequel les repères sont dilués (n’imaginez pas de fiesta entre jeunes, d’appareils numériques et toute autre technologie moderne, …). L’une des scènes les plus explicites sur le propos du film est la suivante : la protagoniste et son amie se baladent en vélo dans un champ, sans savoir où elles se dirigent.
L’abstraction contient également une utilisation du son très particulière. La bande sonore et la bande originale ne sont pas abstraites dans leur composition. C’est avant tout leur utilisation dans le film qui l’est. Chaque personnage a le droit à son propre univers musical, mais le film ne résume pas à de la musique (même si le cinéaste est également chanteur). La bande originale vient ajouter ce que la protagoniste ne montre pas. Comme si la mélancolie, l’errance et les répétitions de la protagoniste, compilés à la bande originale, créent l’ambiance et le ton dans lequel le film doit s’installer. Même si le film manque cruellement de moments survoltés, il est néanmoins touchant dans sa manière d’instaurer une ambiance ou de la casser par la simple présence de musiques ou des sons. On comprend ici un cinéaste qui accorde autant d’importace au visuel qu’au son pour créer un univers à ses personnages.
Entre deux rives
En ce qui concerne la mise en scène, le film est constamment dans l’entre-deux¹. Tout d’abord, il est question d’un été où les parents sont absents, et où la protagoniste travaille, et doit gérer le loyer. Il y a ici, par l’absence de figure protectrice et de guide, l’idée du passage à l’âge adulte. Ainsi, le cinéaste Stéphane Lafleur capte ce qui se situe entre la jeunesse et l’âge adulte. Julianne Côté est souvent dans une retenue incroyable, afin d’éviter justement de trop basculer dans la fougue de la jeunesse ou dans l’autorité de l’âge adulte. Ses attitudes sont aussi détendues que rigoureuses, dans l’idée d’un cocon déjà fermé mais tout aussi vulnérable. La protagoniste ne s’impose jamais face aux autres personnages, et ce niveau d’égalité entre chacun permet un lissage parfait dans les points de vue.
L’abstraction du film, expliquée précédemment, permet également de jouer sur l’esthétique des images. Malgré le Noir&Blanc du film, beaucoup de couleurs se laissent imaginer. C’est tout l’intérêt du film, dans le fait de se forger sa propre image colorée des situations. En uniformisant ses plans avec le Noir&Blanc, la distinction est plus compliquée entre le jour et la nuit. Avec une protagoniste insomniaque, on y aperçoit une mélancolie infinie. Le film donne l’impression que le jour et la nuit peuvent se confondre, que l’été permet de jouer sur tous les tableaux. Le passage de la jeunesse à l’âge adulte n’a pas de temps, et s’inscrit donc durablement dans les images. L’univers de la protagoniste devient soudain plus brumeux et en perpétuel glissement. Tous les décalages sont permis et la perception devient plus flottante.
Dans son entourage, la protagoniste cotoie des personnages qui savent ce qu’ils veulent. Alors qu’elle est plus spontanée et peine à réagir à toutes les possibilités qui se présentent. Une lente désillusion se fait montrer dans le film, et tous les décalages sont permis. L’univers perd de sa racine et toute connexion logique s’envole petit à petit (tel un geyser). Ce sont ces décalages, et tous les glissements permis grâce au Noir&Blanc, qui détermineront l’intermédiaire entre le réel et le surréalisme. Il n’est pas question véritablement de surréalisme à proprement parler (arrêtez de penser à Bunuel), ou même d’idées fantasmatiques. Mais bien des décalages qui n’appartiennent pas au réel. C’est ce que provoque l’ambiguité jour/nuit, ainsi que la mélancolie errante. On ne sait jamais ce qu’il faut croire, car de petits détails viennent bouleverser tout l’environnement connu des personnages.
Dans cet intermédiaire aux multiples facettes, il y a également l’alternance ennui et loufoquerie. A certains instants, le cinéaste Stéphane Lafleur choisira de renverser le réel vers un côté absurde. Cette absurdité garde tout le sérieux du propos (le passage de la jeunesse à l’âge adulte), mais choisira l’ironie et le décalage pour présenter des alternatives à l’ennui. Ce qui est beau, c’est que ces moments d’absurdité resterons dans la vanité la plus totale. Leur utilité se trouve dans le rythme de la mise en scène, pour éviter que la mélancolie gagne totalement l’ennui. Ainsi, la protagoniste connait l’alternative ennui/loufoquerie comme elle connait l’alternative mélancolie/fantasme.
1 : le terme "entre-deux" fut utilisé par le réalisateur lors d'un échange après la projection.3.5 / 5