Une belle rencontre

Il est toujours difficile de construire un film d’époque, parce qu’il faut réussir à être le plus juste possible sur le contexte historique. Pas nécessairement sur les détails, mais d’avoir une trame suffisamment cohérente pour rendre compte d’une ambiance, d’un état d’esprit. Il y a trois grosses écoles dans l’élaboration d’une oeuvre cinématographique à caractère historique. Premièrement, il y a ceux qui mettent en scène l’Histoire de façon pure, qui livrent un récit factuel basé sur une forme de description (qu’elle soit chronologique ou non). Deuxièmement, il y a ceux qui placent la grande Histoire au même niveau que la petite histoire (l’histoire personnelle / privée des personnages) et font la bascule. Troisièmement, il y a ceux qui préfèrent se servir de la grande Histoire comme simple contexte dans lequel se trouve la petite histoire. Pour le premier cas, on peut citer le fascinant et chorégraphique LA BATAILLE D’ANGLETERRE de Guy Hamilton. Pour le deuxième cas, on peut citer LA PORTE DU PARADIS de Michael Cimino. Pour le troisième cas, on peut citer LES RAISINS DE LA COLERE de John Ford. Le film de Lone Scherfig, intitulé UNE BELLE RENCONTRE, fait partie de la troisième école.

En s’inscrivant dans ce traitement du contexte historique, la cinéaste permet à son film de faire ressortir en priorité la dimension humaniste. Elle laisse de côté le spectaculaire, l’horreur de la guerre, la tragédie de la destruction, etc… La scène de refuge dans le métro est même plus courte que celle qu’avait mis en scène Terence Davies dans THE DEEP BLUE SEA. Parce que Lone Scherfig ne cherche pas l’impact de la guerre sur l’histoire de ses personnages, elle cherche à faire imploser l’amour et la paix. C’est pour cela que le mélodrame prend davantage de place, dans le récit, que le contexte historique. Ce qui intéresse la cinéaste, ce sont les situations individuelles de ses personnages durant cette époque, afin d’en établir une histoire collective. Presque comme si le mélodrame raconté est le faire-valoir d’une lutte contre la violence, contre la guerre. Lone Scherfig part d’un personnage féminin qui est engagé uniquement pour écrire des dialogues à l’eau de rose. Ainsi, elle apporte une touche de tendresse et de charme dans cette ambiance austère, froide et chaotique de la guerre. Le sujet est moins le cinéma de propagande britannique en lui-même, que la mnière dont il a apporté une ferveur / un courage / une solidarité entre les britanniques.

Pour faire ressortir toutes ces intentions, Lone Scherfig utilise l’esthétique de l’observation, laissant la mise en scène prioritaire pour exprimer la relation qui se construit au sein du groupe. La cinéaste veut travailler sur les émotions. Dès la première scène, où elle capte des spectateurs dans une salle obscure regardant un film de propagande, elle saisit l’effet que certains recherchaient : l’échappée via le cinéma. Alexander Korda, David Lean, Alberto Cavalcanti et bien d’autres, sont des cinéastes qui prônaient le divertissement pour le public. Ils voulaient leur faire oublier, le temps d’une séance en salle obscure, l’horreur de la guerre. Même dans les attitudes des personnages principaux, il n’y a pas beaucoup d’empreinte de la guerre. L’esthétique s’efforce donc d’observer modestement des personnages ordinaires, avec des cadrages qui ne propulsent pas ses personnages comme des héros de guerre (ou même des héros de la propagande). L’esthétique s’efforce plutôt de créer une nostalgie du romantisme dans une période qui en manquait énormément.

Autour, il s’y dessine une passion pour une cause commune, où les différences s’effacent. Le personnage féminin prend, déjà grâce au film, plus d’importance – et il y a cette (re)conversion du rôle de comédien âgé, qui se met à coacher un comédien débutant. Ainsi, le film s’ouvre à deux causes : la place de la femme dans le travail (Gemma Arterton qui prend de plus en plus de place dans les espaces où sont les comédiens), puis conter une histoire que le public a besoin d’entrendre / de voir (référence au divertissement que prônait Korda & Co). Une mise en scène qui fait la part belle au casting cinq étoiles, où Gemma Arterton, Sam Claflin, Bill Nighy et les autres surprennent à plusieurs reprises. Parce qu’il s’agit d’une mise en scène qui glisse du portrait d’une époque (avec les coutumes liées au travail, à la pensée, etc) vers la célébration d’un imaginaire grâce à l’art, sans oublier évidemment la pointe d’humour british qui fonctionne à tous les coups.

UNE BELLE RENCONTRE (Their Finest) de Lone Scherfig.
Avec Gemma Arterton, Sam Claflin, Bill Nighy, Jack Huston, Paul Ritter, Rachael Stirling, Richard E. Grant, Henry Goodman, Jake Lacy, Jeremy Irons, Eddie Marsan, Helen McCrory, Stephanie Hyam.
Pays : Royaume-Uni
Durée : 1h57
Sortie française : sortie inconnue

4 / 5