Réalisé par Kiyoshi Kurosawa. Écrit par Kazumi Yumoto. Avec Eri Fukatsu, Tadanobu Asano, Yu Aoi, Akira Emoto, Masao Komatsu. Japon. 128 minutes. Sortie française le 30 Septembre 2015.
Kiyoshi Kurosawa est bien connu pour ses films à fantômes, côtoyant plus ou moins le fantastique. Ce sont des fantômes qui ont l’habitude d’effrayer, ou de faire souffrir, les autres personnages. Ici, le cinéaste japonais n’a pas de fantômes qui font peur, il s’agit d’une histoire d’amour entre une jeune femme et son amant qui revient par on-ne-sait-quel-miracle. Contrairement à des films comme KAIRO – vraiment angoissant, ou SHOKUZAI – vraiment pesant, VERS L’AUTRE RIVE est davantage un voyage poétique.
Célébration de l’amour
Le long-métrage de K.K est un hymne à l’amour : la romance entre la jeune femme et l’amant qui revient (trois ans après sa mort) est l’élément central. Il ne s’agit pourtant pas d’un mélodrame pur, car ils ne connaissent pas de bouleversements dans leur relation. La seule souffrance de leur histoire d’amour est dans le passé, elle se situe avant le film. C’est là que le long-métrage devient un voyage : telle une reconquête qui se justifie par une seconde chance pour le couple. Chaque plan serré est une sensation supplémentaire dans la romance. Tous ces plans rapprochés sont les vecteurs d’un voyage davantage spatial que temporel. La temporalité semble d’effacer au sein de leur relation sentimentale, tandis qu’ils la dévorent dans des lieux multiples – où chaque territoire peut être la source de tension ou de désir.
Parce que ce long-métrage est aussi agrémenté du désir entre les deux êtres. Le fantôme, n’étant plus effrayant ou pesant (même si on retrouve l’impact du passé comme avec SHOKUZAI), il est objet de désir. C’est la recherche du temps perdu, c’est la conquête du connu disparu : pour cela, les travellings alimentent chaque geste des protagonistes (surtout la jeune femme). Dans cette célébration de l’amour, le désir est l’élément qui va faire progresser le film. Les travellings accompagnent les personnages dans leur voyage, où le passé semble être épuisé et le hors-champ totalement inaccessible. En avançant à petits pas, par le biais de moments intimes et de situations déjà vécues, le désir est sans cesse d’actualité. Comme si les personnages s’engagent dans un voyage sentimental qui n’a pas réellement de destination, si ce n’est la répétition du connu.
Un cadre fragile et aérien
En cela, les protagonistes sont confrontés à l’excès et à la lassitude de leur quotidien. Le long-métrage contient très peu de plans séquences, le découpage est surtout composé de plans courts. La multiplication des angles de vue et des échelles prouvent la fragilité de la relation, mais la progression du voyage (la pluralité des espaces) permet de la stabiliser. Rarement filmés en entier dans le cadre, les deux principaux comédiens représentent des personnages qui se déchirent et se retrouvent par rapport à leur désirs. La fragilité réside avant tout dans la crainte, celle que le désir de la reconquête ne s’efface au profit du connu. Parce que le passé hante (de façon matérielle, comme le personnage masculin qui revient physiquement) le présent et les deux se confondent à plusieurs reprises.
C’est ici que le film a un côté très aérien : rien n’est jamais réellement concret, terre à terre. La suggestion apparaît souvent, notamment dans les travellings (le désir est futile et compliqué à atteindre). En se positionnant souvent en recul, en ne faisant que témoigner du voyage, le cadre suggère un vertige dans cette célébration de l’amour. Parce que ce sentiment est la souffrance de la perte, et qu’il est le fondement du désir. En étant fragile, le cadre alimente le voyage mélodramatique : il y a la sensation de rester ensemble, de vivre comme une seule unité, et qu’une nouvelle séparation causerait une nouvelle perte. Ce voyage est à la fois fragile par son désir inaccessible et aérien par le vertige du passé hantant le présent.
Onirisme éternel & intangible
Alors que ce film ne s’inscrit plus dans une idée du fantôme immatériel, il est désormais matérialisé. Tout est naturaliste et dans la recherche du réalisme absolu, pour garder l’impression de véridicité dans le sentiment amoureux. Cela n’empêche pas le long-métrage de plonger dans un onirisme complet. Déjà dans les regards des protagonistes, il y a une sincérité extrême qui contient le désir de l’autre. Dans ces regards, c’est aussi le point de vue du cinéaste : le voyage marque l’éternité des sensations.
Le désir est tel un fantasme : celui que le passé a enlevé, pour obtenir un présent plus fragile. Le vertige du cadre se marie parfaitement à l’esthétique des sensations. Parce que la nuit justifie totalement une grande querelle, et que la nature tient en faveur de l’intangibilité. L’environnement colorique des personnages est d’une poésie folle, à tel point que la matérialisation du fantôme s’oublie. Intangible car les protagonistes traversent tous les espaces comme ils vivent leur romance, et que le voyage vertigineux tient à ces travellings délicats où les protagonistes prennent possession des espaces.
L’AVIS DE CLOCLO
« Vers l’autre rive » est le dernier film de Kiyoshi Kurosawa. Un opus étonnant qui mériterait une meilleure notation sur Allociné ! Une histoire de fantôme, classique avant Halloween, mais qui renverse les codes du genre.
Dans « Vers l’autre rive », le revenant qui n’est ni méchant, ni caché sous un drap, ne disparaît pas sans prévenir, peut-on d’ailleurs vraiment appeler cela un fantôme ? Comme dans tous les films du genre, le revenant à quelque chose à se faire pardonner dans le monde des vivants. Son décès subit le lui en avait empêché. Yusuke revient alors après 3 ans d’absence et propose à sa femme Miyuki un voyage, pour pouvoir enfin lui avouer ce qu’il a sur le cœur.
Tous les critères d’un film typiquement japonais sont ici réunis. La lenteur, on a l’impression que le film se déroule à la même vitesse que dans la vie normale. Les spécialités culinaires étranges, vous découvrirez par exemple les shiratama-ko, boules de riz gluant au haricot rouge. Les remarques cinglantes formulées avec un calme olympien, qui ne leur en donnent que plus de force.
Quelques mots sur K. Kurosama, pour parfaire votre culture ciné japonais. Il a souvent contribué à des réalisations de films d’horreur, ce qui explique sa passion pour les fantômes. Comme beaucoup de réalisateurs japonais très populaires, il fait ses premiers pas dans le porno, qui au Japon constitue souvent un premier tremplin cinématographique. Parmi ses derniers opus, Tokyo Sonata, un de ses films les plus connus, et Real.
Le prochain film japonais à ne pas rater : Notre petite soeur
4 / 5