Sangue del mio sangue

Écrit et Réalisé par Marco Bellocchio. Avec Roberto Herlitzka, Pier Giorgio Bellocchio, Lidiya Liberman, Fausto Russo Alesi, Alba Rohrwacher, Federica Fracassi, Alberto Cracco, Bruno Cariello, Tony Bertorelli, Filippo Timi, Elena Bellocchio, Ivan Franek, Patrizia Bettini, Sebastiano Filocamo, Mai Alberto Bellocchio. Italie. 106 minutes. Sortie française le 7 Octobre 2015.

Après le romanesque grave et très sensoriel de LA BELLE ENDORMIE, puis six ans après le somptueux lyrisme intimiste de VINCERE, Marco Bellocchio revient avec son esthétique très marquée. SANGUE DEL MIO SANGUE est très stylisé parce que le cinéaste italien mélange la religion, la sorcellerie et les fantasmes. Et même si le film contient un message politique, plutôt placé entre les lignes, il s’agit d’abord d’une parenthèse (dans sa filmographie) axée sur l’esthétique. Le seul raccord avec ses précédents films est leur picturalité.

Une vampirisation des espaces
Il y a une vraie dramatisation des espaces (qu’ils soient extérieurs ou intérieurs). Mais ce sont surtout les intérieurs qui reviennent sans cesse, et qui sont les sources des tragédies contées. Dans les deux intrigues, il s’agit du couvent qui devient une prison des siècles plus tard. Puis, cette prison finit par être vide et abandonnée. Chaque mur agit comme les barrières d’un enclos, chaque escalier est une désillusion pour une fuite espérée, chaque porte est l’angoisse de l’avenir et la menace qu’apporte autrui. Entre les deux intrigues, la séparation est légère : une ellipse de plusieurs siècles dans le récit, non indiquée à l’écran car un simple cut amène la seconde partie. Comme si, peut importe les époques, ce bâtiment conserve le même enjeu et produit les mêmes effets. Comme si rien n’avait changé : le premier plan de la seconde partie étant le même que la première partie, une plongée sur la porte d’entrée depuis le haut des escaliers. Seule la lumière et quelques objets abandonnés à terre suggèrent le changement temporel.

Ce qui ne change pas du tout, c’est la point de vue esthétique apporté à ces espaces. Que ce soit le bâtiment (qui fut un couvent et est devenu une prison abandonnée) ou les autres lieux filmés, il y a une idée de laisser percer le baroque. C’est la volonté exprimée par la temporalité : peut importe les époques, les espaces ont toujours la même influence. Comme un envoûtement perpétuel, qui laisse figurer la lumière dans une austérité éternelle. L’esthétique baroque du film provient du mariage entre la religion et la sorcellerie. Dans l’époque du couvent, le baroque se matérialise par l’exubérance des corps et l’exagération des contrastes . Dans l’époque du compte, le baroque se trouve dans l’absurdité des attitudes et les effets lumineux pompeux.

Une mise en scène endiablée
Le baroque, associé à la dramatisation des espaces, provoque un agréable lyrisme. Parce que pas grand chose se déroule dans le récit, qu’il s’agit surtout de contemplation. Comme avec VINCERE ou LA BELLE ENDORMIE, Marco Bellocchio assure la sensualité autour de ses personnages, qu’ils soient protagonistes ou secondaires. La mise en scène du cinéaste italien requiert des déplacements qui doivent éviter la radicalité. Même si les deux intrigues font de la place pour la cruauté, les personnages sont regardés avec dignité et beauté. Le regard des personnages est différent de celui des spectateurs. Parce que les relations entre les personnages sont plus troublantes qu’elles n’y paraissent, le long-métrage sonne comme un opéra du diable.

Autour de ce lyrisme, Marco Bellocchio crée le mouvement continu. Il n’y a aucun temps mort, les personnages sont toujours dans le déplacement. C’est pour cela que la contemplation est présente : les ellipses ne permettent pas de développer l’intimité qui faisait la puissance de VINCERE. Ici, les espaces (et notamment le bâtiment couvent-prison) impliquent une grande agitation autour des personnages. Quand l’un d’entre eux est filmé au centre du cadre, les autres autour sont continuellement dans le mouvement. Ce n’est pas pour rien, puisque l’envoûtement du baroque offre un esprit sulfureux dans les comportements des personnages. Dans la mise en scène de Marco Bellocchio, les comédiens agissent comme s’ils étaient en train de brûler, et que le remède est autre que la tendre agitation envers autrui.

Le pouvoir de l’ambiguïté
Puisque le film est dans une constante contemplation du baroque et d’une agitation sulfureuse, il ne faut pas tout dévoiler. Pour cela, Marco Bellocchio a compris que sa mise en scène doit servir aussi l’inconnu, les éléments manquants. Le récit ne contient pas d’exposition, et il y a une épuration volontaire du texte et des éléments de description (des personnages et des situations). Ainsi, les structures des espaces jouent beaucoup : les pièces sont souvent petites, puis le béton et les briques dominent. Cela permet de créer une séparation volumineuse entre les personnages et l’action réelle. Parce que la caméra ne filme jamais vraiment ce qui est important, elle veut capter les réactions des personnages en retrait.

L’ambiguïté se remarque également avec le découpage. Des inserts et des plans larges dévoilent certains détails, mais sont rares. Alors que les plans rapprochés renforcent une isolation des protagonistes. Des personnages en marge de l’action réelle, comme s’ils sont en train de se noyer dans l’agitation qui les environne. C’est là que le hors-champ est un point important du long-métrage. Parce que la contemplation n’est pas que dans le champ, elle est aussi dans le mystère des lieux filmés. En ne dévoilant jamais ce qu’il faudrait pour comprendre aussitôt, Marco Bellocchio fait progresser l’envoûtement de son film : alors ses protagonistes sont manipulés, le cadre place le baroque comme un filtre mystérieux.

3.5 / 5
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