Cannes NEXT – La Belgique, terreau fertile d’expériences immersives

Le festival de Cannes et son Marché du Film mettent en avant les cinémas du monde, et la possibilité pour chaque pays d’être représenté. NEXT, la partie interactive des rencontres professionnelles, était aussi un lieu de rencontre où les expériences du monde entier se côtoyaient et échangeaient. Rencontre avec de fiers représentants belges, exemples du dynamisme de leur pays et de la volonté de faire grandir la réalité virtuelle en Europe : Marine Haverland (audiovisual advisor au cluster des industries créatives Screen.brussels), Jean-Louis Decoster (producteur à poolpio.com) et François Fripiat (Sonicville 360).

L’importance du son en réalité virtuelle

François : J’ai travaillé une dizaine d’années dans l’industrie du cinéma « classique », entre montage son, mixage son… pour des films ou séries. Il y a 3 ans j’ai reçu une demande pour faire du son pour de la réalité virtuelle, et j’ai tout de suite été passionné par le support, et ses nouvelles possibilités créatives. Ordinairement nous avons du son 5.1 ou 7.1, 3D, avec toujours un écran 2D « flat ». Le fait d’avoir une expérience immergée, nous pouvons réellement avoir du son à l’arrière, de le mixer en 360 pour raconter des histoires différentes. Je milite pour qu’il y ait de vrais professionnels qui s’y consacrent, car dans la réalité virtuelle et les nouveaux médias c’est encore le Far West à notre niveau, avec de nouveaux créatifs, sortis d’école ou sans expériences spécifiques. Il ne s’agit pas de juste spatialiser le son, mais nous travaillons en multipliant les couches sonores, jouant sur les volumes, la position des sources… C’est un travail plus global, et qui exige une connaissance du workflow plus importante.

Changer les métiers créatifs

Jean-Louis : En venant de la publicité et de l’institutionnel, de nouveaux défis se sont imposés à nous. En VR il faut cacher toute l’équipe, ne plus avoir de prise de son à la perche, utiliser des micros HF, storyboarder différemment… Nous développons de nouveaux outils pour chaque étape, dans les premiers temps des rigs GoPro (nb: équipés contre le mauvais temps, paraît-il…), et maintenant avec des BlackMagics ou Sony A7S. Nous réfléchissons maintenant à une chorégraphie de chaque expérience en terme de mise en scène.

Rester à jour sur une industrie en pleine expansion

Marine : Nous faisons énormément de veille, avec chez Screens.Brussels une personne à plein temps chargée de centraliser et faire circuler les informations. Et nous sommes présents sur de nombreux évènements pour rencontrer et connecter les bonnes personnes.

François : En terme de son, c’est un domaine ni réellement concret, ni vraiment palpable : le son doit se ressentir dans la durée. La technologie plébiscitée dans le son pour la VR est une technologie vieille de 40 ans. Les nouveaux produits qui sortent facilitent simplement les workflows mais ne révolutionne pas le rendu. Je m’y intéresse de loin, car je pense que les outils et technologies sont déjà bien abouties. Il faut dorénavant que nous passions à de vraies créations, avec de vrais budgets, de vraies exigences. La palette d’outils existe, elle peut être amélioré mais il nous faut les projets et l’input créatif pour innover techniquement.

Jean-Louis : Nous faisons beaucoup de veille, via notamment des newsletters. En terme de post-production, de nouveaux outils ont été inventés, et nous essayons au mieux d’être en contact avec les société de logiciels pour avancer ensemble. Les salons comme Laval Virtual où beaucoup de nouvelles choses sont présentées nous permettent aussi de rester à jour. Il faut trier les bonnes informations, entre ce qui est désormais proposer au grand public, ou des choses plus professionnel comme DVMobile à Paris qui développe leurs propres caméras, ou Okio Studio en terme de narration. Après la technologie pour voir les expériences n’est pas encore au point, même si le HTC Vive ou Oculus sont parmi les meilleurs, le coût empêche une totale démocratisation. Playstation ou Youtube sont des leviers intéressants, on suit tout cela au jour le jour.

Les aides belges pour l’industrie créative

Marine : En Belgique pour la réalité virtuelle, ce sont surtout les fonds régionaux dont Screens.Brussels fait partie. Nous arrivons en fin de production, puisqu’il faut que les projets aient déjà 60% de financement acquis. Nous finançons logiquement les dépenses sur la région Bruxelles même, avec ce critère géographique. Le Tax Shelter audiovisuel est désormais ouvert pour la VR, qui va accélérer les choses pour les productions majoritaires mais aussi minoritaires, étrangères en Belgique. Combiner ce Tax Shelter et un fond régional, ça commence à devenir intéressant. Finalement c’est un schéma similaire au cinéma, avec des investisseurs privés qui sont adressés, et une possibilité de demander des fonds de Recherche & Développement qui sont éligibles pour la réalité virtuelle s’il y a une vraie recherche technologique.

L’amitié franco-belge, pas si virtuelle ?

Marine : Elle existe moins que dans le cinéma pour l’instant, mais nous essayons de la faire grandir pour créer une vraie communauté francophone. La France et la Belgique ont un historique traditionnel de coproduction, que l’on souhaite instaurer aussi dans l’interactif. Qui plus est, les pays francophones sont plutôt à la pointe dans ce secteur.

Jean-Louis : Nous avions déjà quelques contacts car c’est finalement un milieu encore restreint. Des rendez-vous comme le Festival de Cannes permettent d’accélérer les choses, de rencontrer plus de monde et surtout des acteurs majeurs pour tisser de nouveaux partenariats.

François : Notre stratégie est clairement tournée vers la France, qui est notre marché principal. Nous avons d’ailleurs des studios à Bruxelles mais aussi 3 studios à Paris, pour mixer ou prévisualiser des deux côtés en présence des équipes, et travailler sur le financement dans chaque pays.

2017, année de la maturité créative ?

Marine : Nous sommes encore dans une phase un peu timide. Je n’ai eu encore que peu d’expériences bouleversantes en VR alors que je suis persuadée de la force de ce medium.

Jean-Louis : Je pense que nous sommes encore dans une zone grise, avec peu d’expériences utilisant le plein potentiel de la réalité virtuelle, comment raconter une histoire de fiction. Nous découvrons de nombreux projets visuellement magnifiques, notamment ceux du studio Felix & Paul, avec leur exploration de la Maison Blanche par exemple. C’est un nouveau média, qui demande à créer un nouveau storytelling. De nombreux scénaristes admettent devoir tout réapprendre, collaborer avec des gens de théâtre, des scénographes pour interpeller le public, créer de meilleures expériences pour les emmener avec soi. C’est encore l’année 1 de la VR, le Far West comme le dit François. Nous avons besoin que des entreprises traditionnelles du cinéma viennent s’y intéresser.

François : Les projets vus sont encore axés sur les effets, les émotions négatives comme la peur. Je n’ai pas encore vu beaucoup de projets qui m’ont donnés envie de plonger à la découverte de nouvelles sensations. Est-ce parce que le son n’est pas toujours au point, ou le scénario ? Kinoscope (Orange), projet très simple, me semblait plus pertinent que la plupart des grosses productions sorties dernièrement. Less is more. L’industrie a le réflexe de foncer vers les effets, sans s’intéresser aux émotions simples.

Quelle est la limite immédiate à dépasser ?

François : Je trouve curieux de vouloir immédiatement développer la réalité virtuelle en mass media. Le cinéma a d’abord été développé en salles où les gens allaient, puis 50 ans plus tard ils ont eu la possibilité de voir des films dans leur salon. Le jeu vidéo a commencé sur des bornes d’arcades avant les consoles. Pourquoi forcer la VR a aller tout de suite chez les gens, au lieu de la présenter dans des lieux sur mesure. Je ne parle même pas des limites de prix ou autre. Il faut réfléchir à l’envie des spectateurs, et peut être leur proposer d’abord des lieux où ils pourront profiter des expériences sans se soucier des problèmes techniques. Avec la nouvelle génération millennials, j’ai l’impression qu’on veut tout avoir tout de suite mais il faut sans doute prendre le temps de réfléchir à la bonne utilisation de la VR.

Marine : Il y a d’abord la qualité des casques qui n’offrent pas encore une expérience correcte, sauf peut être le StarVR à venir. Cela pourrait convaincre beaucoup plus les gens en terme de confort et d’image, notamment dans des lieux « location based » qui pour moi est aussi la première étape de démonstration de l’industrie. Et puis il y a des enjeux créatifs, car peu d’expériences sont réellement écrites pour la VR, intéressante, et qui dépasse l’effet gadget.

Jean-Louis : Je suis d’accord. Ici à Cannes nous avons pu découvrir de nombreux prototypes, des projets non terminés, avec des problèmes techniques, sans forcément d’avertissement lors du visionnage. Il peut y avoir un effet déceptif pour les spectateurs. Alors qu’il y a de très beaux projets. Il faut travailler sur l’accompagnement des expériences, surtout sur des marchés comme NEXT.

Des lieux qui arrivent à Bruxelles ?

Marine : Fin juin ouvrira un nouveau lieu lié au festival ExpériencesVR, au cinéma Galerie et UGC. De plus vient d’ouvrir Digit Yser, le hub digital de Bruxelles voué à rassembler les communautés actives dans la Data & AI , IOT et VR. C’est de bon augure.

Des projets VR à conseiller ?

François : J’ai été agréablement surpris par le nombre de projets présentés, quelque soit leur qualité, notamment dans la librairie NEXT. Ceci démontre une vraie motivation de l’industrie, et au-delà des expériences ce sont les pitchs de futurs projets qui m’ont semblé excitant. Il y a beaucoup d’envie pour les prochaines années. Il faudra cependant se concentrer nettement plus sur la qualité des productions.

Marine : J’ai vu Altération d’Ohio Studio, Chasing the world qui est un voyage en 360 assez touchant, et un projet suisse Simoane avec un regard sur la méditation intriguant. Ce dernier a été développé par des étudiants.

Jean-Louis : Il y a un projet de Baobad Studios, spécialisé dans l’animation, qui revient avec un conte amer-indien de 2 minutes très beau. Et puis également Altération de Jérôme Blanquet avec une vraie patte visuelle. Enfin une expérience très poétique sur une grand mère en Amérique du sud qui collectionne les bougies et dont la vie a changé grâce à des lampes solaires.