5 est le numéro parfait

Dès les premiers plans, un sens aiguisé du style graphique et de la composition d’image s’offre à nos yeux. La logique est respectée, car cette adaptation de la nouvelle graphique éponyme est dirigée par l’auteur même de la nouvelle : Igort. Il s’agit de son tout premier film en tant que metteur en scène, parce que l’acteur italien Toni Servillo l’a bien pressé pour que ce soit lui qui s’occupe du film. Grâce à l’insistance de l’acteur, Igort transpose donc l’univers de la nouvelle dans le medium cinématographique. Le film 5 EST LE NUMÉRO PARFAIT possède toutes les caractéristiques graphiques de la nouvelle. Il y a un fort geste de création d’une ambiance unique au sein de ce film de gangsters, entre le polar et le thriller. Il y a aussi une grande intention de manier plusieurs tons. Puis, il y a un énorme travail sur la photographie, entre les ombres, les différentes sources de lumière, la présence de la pluie, capter l’architecture de la ville de Naples, etc.

Cette photographie est très téméraire, portée sur la tragédie pure des confrontations, visuellement très abondante. Une photographie qui évoque un ton nuancé entre l’orgueil, le traumatisme et les regrets. Des trench-coat aux lumières de phares de voitures, en passant par les éclats de sang et quelques fumées, le film propose toute une palette esthétique très hypnotique car elle permet de connecter la violence avec la poésie de l’image. Il est même possible de se faire surprendre à y voir Igort s’amuser à ironiser sur la saga James Bond, et même à citer (à la fois dans la musique et dans quelques plans) les western spaghetti. Igort n’est donc pas du tout étranger au Cinéma, mais il sait ce qu’il veut.

Pourtant, 5 EST LE NUMÉRO PARFAIT comporte de nombreux défauts, ou plutôt des limites. Quand on regarde le film et que l’on sait qui est aux manettes, il est rapidement compréhensible que le métier de cinéaste n’est pas qu’une transposition sur images. Dans cette adaptation cinématographique, ce qui intéresse le plus Igort est clairement la composition de l’image, la photographie. Le reste devient vite accessoire. La mise en scène en est très artificielle, souvent exagérée et proche du mime des actions plutôt qu’une idée du mouvement. Même Toni Servillo en fait des caisses, que l’on pourrait croire en roue libre. Il y a aussi une gestion très troublante des codes. Il est impossible de dire si Igort souhaite un drame, un film de vengeance, un film de gangsters, un polar, ou un thriller, tellement il navigue et dérive entre tous ces codes sans jamais totalement tous les embrasser.

Quant au montage, Igort adopte la narration de sa nouvelle, et non une narration cinématographique. Le plus flagrant est le chapitrage infligé au film. Un chapitrage totalement inutile, qui casse complètement le rythme que la mise en scène tente de créer. Parce que oui, la mise en scène arrive parfois à insuffler un rythme dans le timing du cadre et l’attente des corps. Cependant, la temporalité du montage comporte tellement d’ellipses (tels des raccourcis faciles) et de sauts entre plusieurs espaces (le film passe soudainement, et souvent, d’un espace à un autre sans aucune transition), que le rythme se brise à plusieurs reprises. Même jusqu’au chapitre final, qui se veut rédempteur mais qui se sent obligé d’être un nième film qui se termine sur une plage fellinienne. Même au Cinéma, le costume ne fait pas le moine : l’image seule ne fait pas l’esthétique.


5 EST LE NUMÉRO PARFAIT
Réalisation et Scénario Igort
Casting Toni Servillo, Valeria Golino, Carlo Buccirosso, Giovanni Ludeno, Lorenzo Lancellotti, Vincenzo Nemolato, Emanuele Nocerino, Edoardo Sorgente, Gigio Morra
Pays Italie, Belgique, France
Durée 1h40
Sortie 23 Octobre 2019

2.5 / 5