Dans le même geste que CONTES DE JUILLET en 2018, À L’ABORDAGE est le fruit d’une collaboration entre Guillaume Brac et des étudiants du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique de Paris. Après des mois d’ateliers, puis évidemment un tournage, ce nouveau long-métrage est dans la lignée de tous les films du cinéaste (à l’exception de TONNERRE). À nouveau en pleine période estivale, le film suit des jeunes personnes, à mi chemin entre l’adolescence et l’âge adulte. Après une ville balnéaire, une résidence universitaire au début de l’été, une île de loisirs, Guillaume Brac embarque sa caméra dans un camping. Déjà en quatre long-métrages, le cinéaste dresse une cartographie solaire, un éventail du voyage plein de charme. Dans tous ces espaces, il y a un même motif esthétique : un milieu qui invite à la rencontre et à la détente. Que ce soit sous la neige de TONNERRE ou sous le soleil estival des autres films, le cinéaste amène toujours ses personnages dans une expérience sentimentale et sociale. Que l’on pense au cinéma d’Eric Rohmer ou à d’autres cinéastes, qu’importe, Guillaume Brac a son propre univers et revient toujours vers une idée du temps-mort.
Tous ses films sont comme des transitions dans la vie de ses personnages, les vacances étant des parenthèses qu’il faut vivre intensément avant que cela ne disparaisse. Encore une fois avec À L’ABORDAGE, Guillaume Brac part ressourcer ses personnages près d’un coin d’eau. C’était la mer dans UN MONDE SANS FEMMES, un lac dans TONNERRE, un étang dans L’ÎLE AU TRÉSOR et dans CONTES DE JUILLET, pour maintenant arriver au bord d’une rivière et d’une piscine dans ce nouveau long-métrage. L’eau, c’est la vie et les abysses à la fois. C’est un espace de vitalité, de tendresse et de liberté. Tout comme c’est un espace de peur et d’inconnu. En amenant ses personnages en vacances au bord d’un coin d’eau, Guillaume Brac cherche un trésor et leur transmet le geste d’exploration effectué par la position de cinéaste. Il explore des personnages en pleine explorations, spatiale et intime. Être au bord de l’eau, c’est aussi un lieu où les sensations se décuplent, aussi bien physiques que sentimentales. Se rapprocher de l’eau, c’est pouvoir se mettre à nu, et libérer ses désirs.
Pour cela, rien de mieux que de garder le double geste documentaire / fiction dans l’approche des personnages et des espaces. Et surtout dans les espaces, où tout est un milieu naturel sans aucune transformation (de lumière, de décors, etc). Les espaces se livrent totalement à la caméra de Guillaume Brac, les laissant libres d’offrir leur sensibilité et leur singularité. Avec une approche documentaire sur les espaces, le cinéaste y capture toute la magie naturelle et la séduction de sa composition. À partir de là, la fiction s’ajoute dans cette approche documentaire de l’espace. C’est toute la beauté du cinéma de Guillaume Brac : le cadre permet à la fois de voir une magie documentaire des espaces, et de voir une fiction pleine de tendresse et mélancolie. À L’ABORDAGE ne fait évidemment pas exception, tant la tendresse et la mélancolie de ce voyage initiatique saisit une chaleur humaine nouvelle dans le cinéma du cinéaste. Alors que l’on pourrait y voir un nième récit de vacances, il y a un caractère prononcé sur les classes sociales. Sans s’étendre sur la question, le long-métrage réussit brillamment à donner une possibilité à ses personnages, celle de vivre une vie sociale impénétrable le temps de quelques jours.
Ainsi, au bord de la rivière et de la piscine, puis au sein de ce camping et de quelques rues dans la nuit, À L’ABORDAGE ouvre le chemin vers la libération de d’émotions et de désirs, pour creuser dans l’intérieur intime des personnages. Ce geste d’espace de vacances est un moyen de capter les soubresauts du cœur, entre humour et amertume. Dans ce motif de paysage naturel près d’un coin d’eau, les cœurs se dévoilent et se croisent sous les tentations des espaces. Des lieux ouverts, vastes, qui absorbent toute la solitude et l’inquiétude qui hantent les personnages, pour les convertir en des rencontres sentimentales et une authenticité intime précieuse. Il s’agit d’un mouvement vers un dépaysement désinvolte, où la violence sociale devient un petit miracle solaire. Le geste est planant et aérien, où la désinvolture n’est autre que l’insouciance qui traverse les images, une liberté de filmer qui permet à la caméra d’ouvrir le champ des possibles dans les cœurs et dans les espaces. Un cinéma essentiel, aussi bien pour sa croyance en l’amour que pour sa liberté de filmer.
À L’ABORDAGE ;
Dirigé par Guillaume Brac ;
Écrit par Guillaume Brac, Catherine Paillé ;
Avec Éric Nantchouang, Salif Cissé, Édouard Sulpice, Asma Messaoudene, Ana Blagojevic, Lucie Gallo, Martin Mesnier, Nicolas Pietri, Cécile Feuillet, Jordan Rezgui ;
France ;
1h35 ;
2020.