Écrit et Réalisé par Julie Lopes Curval. Avec Ana Girardot, Bastien Bouillon, Baptiste Lecaplain, India Hair, Aurelia Petit, Sergi Lopez. 95 minutes. France. Sortie française le 13 août 2014.
<< Alice travaille la laine, crée des teintures, confectionne des vêtements. Elle ne sait que faire de ce talent jusqu’à ce qu’elle rencontre Agnès, une riche parisienne, qui l’aide à intégrer une prestigieuse école d’arts. Alice laisse tout derrière elle pour aller vivre à Paris. Elle y rencontre Antoine, le fils d’Agnès. Entre eux nait une passion amoureuse. >>
Le film veut tenir une promesse, en racontant la vie d’une jeune femme de vingt ans. Celle de la bancalité d’une passion brûlante entre une fille sincère, naïve et un jeune homme rebelle, spontané. Une relation bancale car les deux êtres ont tout qui les sépare. Alice vient du milieu modeste mais rêvant de grandeur, et Antoine vient du milieu bourgeois qu’il rejette. Cette passion amoureuse permettra à chacun de s’évader dans le monde de l’autre. Ce qui est surprenant dans cette promesse, c’est l’idée délivrée de l’évasion dans l’autre. Pour Alice, il lui suffit d’être entouré/accompagné de ce « beau monde » travaillant dans la culture du milieu bourgeois. Quant à Antoine, il lui suffit seulement d’être en contact physique d’Alice. Entre les câlins, les bisous, les ébats sexuels, etc… Antoine est servi.
Sauf que cette inégalité est trempée d’imprécisions. Chaque moment d’évasion est survolé. Là où le propos voudrait se caler sur la différence des classes, on se tient plutôt devient un mélodrame essoufflé. Il y a trop de creux dans l’approche. Ce film prône avant tout la classe moyenne, envoyant un grand fuck à la bourgeoisie. Ce film regarde ce « beau monde » de haut, par le bas, mais avec seulement quelques fulgurances de dérision. Les travers de la haute classe sont trop bridés, car Alice doit y plonger. De ce fait, le film est ponctué par les petites disputes des amoureux. Sauf qu’on a déjà vu cette histoire des milliers de fois. L’éducation sentimentale livrée entre ces êtres opposés est trop étiquetée.
Ces creux ont une énorme conséquence sur le montage et la narration du film. A vouloir aller trop vite, racontant le début, le milieu et la fin de la romance, la réalisatrice tombe dans un piège. Son mélodrame, et par incidence son propos sur les différences des classes, est binaire. Soit on voit le « beau monde » idéalisé par Alice. Soit on voit le « beau monde » rejeté par Antoine. En rythmant son film ainsi, la réalisatrice n’aborde que des points d’une idée toute faite sur les classes. Le film nous présente uniquement quelques brides de vie des deux amoureux. On aurait aimé en savoir un peu plus sur les personnages principaux. Que leur jeunesse viennent notamment jouer un plus grand rôle dans leur parcours.
Ces brides de vie fonctionnent par une méthode toute simple : les ellipses. La réalisatrice en use entre chaque scène. Toujours grandes (demi-journée, 24 heures, 48 heures, une semaine, etc…), ces ellipses viennent casser les actions des personnages dans les espaces. Car en revenant sans cesse dans les mêmes espaces, le film n’arrive pas à faire décoller ses personnages. Tous les changements de situations des personnages se déroulent dans les mêmes espaces. A partir de là, les espaces filmés deviennent presque insignifiant. Ne marquant aucun souvenir pour le couple. N’offrant aucune sensation dans les scènes. Tout se joue sur le texte des acteurs, et leurs attitudes.
Le rythme déjà cassé, Julie Lopes Curval ne le comble pas par sa mise en scène. Ana Girardot est d’une froideur accablante. Son personnage est tellement naïf, timide et rêveur qu’on s’approche de la niaiserie. On croirait une princesse Disney qui rencontre un connard. Car oui, Antoine a beau rejeter ce « beau monde » et sa culture, il est présenté comme un salaud de premier ordre. Obstiné dans ses idées, croyant avoir toujours raison, Antoine est lourd. Mais Bastien Bouillon fait ce qu’il peut. Il doit jouer l’emmerdeur de service, qui vient gâcher les rêves idéalistes de la princesse Alice, qui se croit au pays des merveilles. Le pire, c’est que dans cette mise en scène, Ana Girardot et Bastien Bouillon sont accompagnés par des rôles secondaires suffisants. Des apparitions plus ou moins régulières, ne servant pas tellement à la construction ou le bouleversement de l’intrigue, où les acteurs sont surtout des éléments du décor.
Parce qu’en effet, Julie Lopes Curval oublie de jouer avec le décor. A aucun moment, ni Ana Girardot ni Bastien Bouillon ne font partis du décor. Ils sont installés dans un espace, bien tranquillement, et la caméra est face à eux. Le décor est furtif, et pourrait avoir de nombreuses variantes, que cela ne changerait pas grand chose aux scènes. Tout cela dans une modestie esthétique intéressante. Malgré la redondance des espaces, les ellipses lassantes et la mise en scène transparente, l’esthétique est agréable. Agréable car simple. Sans aucune prétention, la réalisatrice se laisse porter par les couleurs des espaces, se laisse porter par la lumière du moment, se laisse porter par la fraicheur ou la chaleur des saisons. Même si les ellipses constantes viennent casser une unité esthétique, il y a l’envie de regarder les personnages avec vérité. Il y a la volonté d’être dans la peinture sociale juste, lucide et touchante. La délicatesse de l’intention et des mouvements de caméra est charmante. Mais le reste, laisse plein de questions.
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