Écrit et Réalisé par John Michael McDonagh. Avec Brendan Gleeson, Kelly Reilly, Chris O’Dowd, Aidan Gillen, Dylan Moran, Isaach de Bankolé, M. Emmet Walsh, Gary Lydon. Royaume-Uni. 100 minutes. Sortie française le 26 Novembre 2014.
Le film démarre par une menace de mort vis-à-vis d’un prêtre. Le postulat de l’intrigue est donné, et même le ton est offert directement. Par les mots choisis et les réactions du prêtre (car évidemment on ne voit pas qui lâche la menace), on aperçoit une touche d’absurdité apparaitre. A partir de là, la mission du film est toute simple : le noyau de l’intrigue est le prêtre incarné par l’impressionnant Brendan Gleeson. Autour de ce prêtre, gravitent une tripotée de personnages secondaires tous aussi explosifs les uns que les autres. On comprend que la menace peut venir de n’importe qui, car les personnages traités souffrent tous de la même situation : le mystère de la nature humaine.
Grâce à tous ces personnages secondaires, magnifiquement développés et utilisés (ce sont eux qui font véritablement avancer l’intrigue), le film se présente comme une exploration interminable ou une confession perpétuelle. Il n’est donc pas question de s’interroger ou de parler de religion. La part religieuse du film n’est qu’un argument pour avoir un personnage central, qui va tester la foi d’autrui. La narration se présente comme des sortes de paraboles. Le prêtre est de toutes les scènes, mais il on retrouve avec lui des personnages différents à chaque scène. Et quelques scènes plus tard, le film revient sur les personnages évoqués. Ainsi, l’évolution des personnages secondaires se fait selon des croisements narratifs. De cette manière, le film est toujours en train de creuser un peu plus (à chaque scène) dans ce que les personnages secondaires ont à apporter.
Ils apportent tous quelque chose de personnel, selon la place du personnage. Mais surtout, ils sont regroupés dans la bulle de la nature humaine. Non pas dans une fatalité indescriptible, mais plutôt comme quelque chose de factuel qui ne trouve pas directement sa logique. Quand on regarde chaque situation de chacun des personnages secondaires, on se rend compte que le film porte un regard sur le malaise de la condition humaine. De cette manière, le film distingue parfaitement l’influence individuelle d’un personnage sur un collectif.
Revenons un temps sur ce factuel qui ne trouve pas de logique directe. Cela constitue l’ambiguïté de la nature humaine. L’être humain est compliqué à comprendre, à saisir, à placer, à décrire, … Mais surtout, l’être humain sait bien cacher son jeu. Par l’individualité, le film regarde également à quel point il est difficile de définir les actes et les pensées d’un être humain. Pourquoi telle personne pense comme cela, pourquoi une autre personne s’intéresse à ceci, etc… Loin d’être porté dans la métaphysique, le film ne fait que regarder avec attention ses personnages dans toute leur ambiguïté. Comme si les personnages secondaires évoluent de manière autonome, là où l’intrigue progresse dans sa narration dans une sorte de logique qui ne trouve pas de contrôle possible.
Le film met l’ambiguïté des personnages secondaires en lien avec leur incongruité. N’oublions pas qu’il s’agit d’un film britannique. L’absurdité fait sa part dans le film. Ainsi, l’ambiguïté est renforcée par les comportements assez dérisoires des personnages. Seul le personnage du prêtre est d’un premier degré remarquable, comme la pierre qui vient briser la vitre qui sépare le spectateur des personnages secondaires. Pendant qu’un personnage trouve logique l’adultère commis par son épouse, et qu’un autre pisse sur le tableau Les Ambassadeurs, un autre personnage préfère utiliser sa cigarette qu’un outil de mécanicien pour menacer la personne en face de lui. Les exemples sont nombreux, pour montrer à quel point la cohérence des actes est absente, mais que ceci justifie la personnalité des personnages.
Pour mettre cette nature dans une approche, John Michael McDonagh opte pour deux tons pourtant bien différents. Bien qu’il n’essaiera jamais de les mélanger dans une même action, il arrivera parfaitement à passer d’un ton à l’autre. En effet, le film joue constamment entre la cruauté et l’humour noir. La cruauté vient se rapprocher de l’ambiguïté humaine, là où les personnages secondaires peuvent être très égoïstes, méchants ou victimes. Le cinéaste n’épargne aucun de ses personnages, et fait ressortir toute la sauvagerie malsaine de l’esprit humain, face à des situations complexe où cet être humain est pris à défaut.
D’un autre côté, le film ne fait pas qu’être tragique. Même si l’être humain est regardé en profondeur, le cinéaste n’oublie pas d’inclure tout l’humour noir qui accompagne l’absurde. A plusieurs reprises, il est possible de sourire, voire même de rire. Rien n’est laissé au hasard, là où le cinéaste sait également regarder ses personnages avec tendresse, amusement et respect. C’est toute la force du film, là où il n’y a aucun mépris porté sur les personnages secondaires. Grâce à leur nature humaine, ces personnages se révèlent être touchants. Un cynisme assez troublant vient entourer tous ces personnages secondaires. Le film en ressort que plus intéressant, car il ne juge jamais : il ne fait que porter un regard objectif sur ces personnages et invite à la réflexion personnelle. La société est décortiquée sans jamais porter de conclusion forcée.
De cette manière, John Michael McDonagh sait adapter son esthétique par rapport aux situations. L’esthétique ne dépend pas des personnages, et c’est une force pour le film. Les personnages sont conditionnés à des ambiances précises, et doivent évoluer dans ces éléments. De là, le cinéaste fera le choix d’utiliser deux esthétiques opposées. Tout d’abord, tout intérieur devient comme un espace de confession. Que ce soit dans le bar, dans la maison où il rencontre Leo, que ce soit dans la réserve de la boucherie, etc… il y a toujours à l’intérieur une place pour une esthétique spirituelle. Une lumière vient toujours éclairer des couleurs éclatantes, et les personnages secondaires sont placés dans des positions qui les révèlent totalement.
Ensuite, le cinéaste opte pour l’austérité de l’extérieur. Comme si, une fois quitté la spiritualité de la confession, il n’y a que la possibilité du retour à la dure réalité de la nature humaine. Du moins, le retour difficile au malaise de l’être humain. Dans les espaces extérieurs, les personnages naviguent entre errance et fatalité des événements. Même si aucune des deux ambiances n’offrent aucune solution d’échappatoire, il n’y a que les choix de se poser et se lâcher, ou d’errer dans la complexité de sa propre nature. Le vent souffle beaucoup, l’immensité des espaces se regarde comme un désert absorbant les personnages vivants, la mer est toujours agitée, le soleil ne se fait pas beaucoup voir.
4 / 5