Le Challat de Tunis

Festival du Film d’Amiens 2014

Écrit et Réalisé par Kaouther Ben Hania. Avec Mohamed Slim Bouchiha, Jallel Dridi, Moufida Dridi. 90 minutes. Tunisie. Sortie Avril 2015.

A la présentation du film, il a été dit que la réalisatrice du film fait ici sa première fiction. En effet, il s’agit d’une cinéaste qui vient tout droit du documentaire. Une chose est certaine, nous n’avions pas besoin de ce commentaire pour le remarquer, puisque toute l’approche du film se fait en mode documentaire. Ce qui est dérangeant, c’est que le film frôle parfois le simple reportage. En partant sur la volonté de résoudre une enquête, la réalisatrice confie la caméra à l’épaule à un assistant. Les plans sont, pour la plupart, tout aussi anecdotiques que spontanés. La caméra est placée là où peut la mettre, pour que l’essentiel d’une situation soit montrée.

Aucun point de vue n’est pris de la part de la réalisatrice. Son film avance au même pas que son enquête, peut importe sa méthode de récolte d’informations. La caméra à l’épaule permet au mois une chose intéressante, c’est l’encrage dans l’action. Le pas entre la fiction et le réel est très mince dans ce film, au point que les comédiens sont tous amateurs. Mais c’est le discours qui est fictionnel, c’est l’approche. Car la caméra à l’épaule crée son propre rythme, elle crée la narration de l’intrigue, selon laquelle on découvrira les personnages présentés.

La fiction peut également se déterminer sous d’autres détails. Premièrement, la réalisatrice apparait dans le film, comme un personnage ordinaire. Elle y est une étudiante en cinéma, qui fait un film sur le fait divers du Challat de Tunis. En cela, elle se met en scène en jouant constamment du doute sur la catégorisation de son film. La réalisatrice, par sa présence, joue beaucoup sur les codes du thriller traditionnel, et ceux du documentaires. A noter que, par sa présence dans le film, la réalisatrice brise la question de la présence (ou absence) du documentariste, puisqu’elle mène l’enquête dans un renforcement du problème féminin.

Malgré cela, le film perdure trop longtemps sur ses points abordés. Plusieurs questions subsistent à la fin du film, et certaines scènes sont réellement dispensables. On comprend assez tard que la réalisatrice ne fait pas un film sur le fait divers du Challat de Tunis. Mais plutôt qu’elle souhaite parler des comédiens, du faux semblant (on en revient au problème de catégorisation du film), aux doutes à propos de la sincérité des personnages, etc… Il s’agit bien ici d’un film sur les personnages (voir l’horrible plan final et les inutiles interviews de fin, qui gâchent tout le beau travail précédent) où le rapport à l’extériorisation prend une grande place dans l’intrigue.

Le grand problème du film, c’est que dans sa volonté de semer le doute sur le genre (fiction ou documentaire), il ne peut s’esthétiser. Le film ne ressort aucune patte formelle, aucun style propre, aucune trouvaille marquante de montage. Les plans se succèdent, dans l’indifférence la plus totale. Ainsi, la réalisatrice peut se consacrer totalement sur l’extériorisation désirée. Sortir des codes de la fiction et du documentaire, la révélation des troubles intérieurs des personnages, les vérités d’un système bancal, puis l’absurdité d’une culture qui se prête aux conventions sociales strictes. Cela n’empêche pas que l’intrigue soit trop diluée dans le manque de travail formel.

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