Festival du Film d’Amiens 2014
Écrit et Réalisé par Fernand Melgar. 100 minutes. Suisse. Date de sortie inconnue.
Comme depuis quelques éditions, le Festival du Film d’Amiens inclut un documentaire dans sa compétition de long-métrages internationaux. Ici, il s’agit d’un film de Fernand Melgar, qui s’inscrit dans une trilogie précédée de LA FORTERESSE (2008) et VOL SPECIAL (2011). Dans L’ABRI, le cinéaste revient en Suisse où il filme une situation dont il se sent offusqué, surtout que cela se déroule dans sa propre ville (Lausanne). Avec sa caméra, il va essayer de nous faire comprendre ce qu’est cet abri, qui accueille des personnes qui dorment dans la rue la nuit. Sauf que, bonne nouvelle, Fernand Melgar ne filme pas cet abri comme un paradis. Il ne filme pas ces sans-abris avec pitié. L’intelligence et la puissance de son documentaire vient tout de même de son approche.
D’une dimension objective la plus naturelle possible, Fernand Melgar pose sa caméra et choisit de laisser le jugement au spectateur. Nous sommes les seuls juges du rapport entre les sans-abris et les organismes filmés (abri, avocat, assistant social, chef d’entreprise, …). A partir de là, Fernand Melgar peut poser sa caméra en substituant au maximum son empathie. Le cinéaste fait en sorte que la caméra capte des situations – entre les humains – dans des espaces significatifs ou dans des expressions du visage précises. C’est à partir de cette réflexion que le cinéaste sait où poser sa caméra. Soit devant les barrières de l’abri pour montrer en plan moyen l’affluence de sans-abris qui veulent entrer. Soit en plan rapproché (ou gros plan) sur des sans-abris qui sont aux nouvelles de leurs situations. La manière dont Fernand Melgar pose ca sa caméra, c’est une manière de regarder les personnes filmées.
Le documentaire montre sa part de dramaturgie, dans la question sociale qu’il traite. Sans jamais nous donner de leçon, Fernand Melgar privilégie une approche humaniste qui nous regarde droit dans les yeux. Le film ne théorise jamais une quelconque idéologie envers les situations des sans-abris. Il nous montre des personnes comme elles sont naturellement, sans porter de valeur morale ou éthique. Même si, le patron de l’abri est vu avec une touche d’humour, qui vient rafraichir la situation dans laquelle le film se plonge. La force du film est donc de partir sur deux côtés : filmer l’institution de l’abri dans ses détails, et filmer les personnes comme elles sont.
Le regard de Fernand Melgar délivre une certaine impuissance envers cette institution. La caméra n’agit que comme témoin d’un réel qui peut faire réagir. Par la neutralité humaniste des plans, le film ne peut laisser indifférent. Le réalisateur montre avec justesse et délicatesse tout un système, qui une fois en place, a ses qualités et ses défauts, ses joies et ses crève-coeurs. Le nombre de place étant limité, certaines personnes sont refusées chaque soir de cet hiver. Même si certaines situations sonnent comme reconstruites (celle où la famille dort dans la voiture et mange du pain au beurre), la vérité des plans fait mouche dans le système décrit.
Quand Fernand Melgar filme les personnes concernées, mais surtout l’institution dans ses moindres détails, il y a un désir d’immersion du spectateur. En décrivant le fonctionnement profond de l’abri, le réalisateur prône l’accompagnement des sans-abris. Mais pas seulement. Le film montre que les difficultés ne sont pas que dans un sens. Certes il y a des sans-abris, mais il y a également les personnes qui travaillent pour l’abri. Ce n’est pas toujours facile pour eux, surtout quand il s’agit de jouer au surveillant ou au flic. Chacune de ces personnes sont filmées comme des grands(es) frères/soeurs qui n’aiment pas devenir sévère.
Là où on pourrait craindre de la répétition par les nuits qui s’enchainent, Fernand Melgar prouve qu’il n’en est rien. Chaque nuit est in facto différente, et révèle ses surprises. Chaque nuit est une nouvelle épreuve, où les personnes filmées se caractérisent un peu plus. Sans oppression ni ajout de misérabilisme ou tragédie forcée, Fernand Melgar filme le factuel. Jamais dans le minimalisme ou l’extrémisme, le film ne tente pas de tourner les situations des personnes en vecteurs d’émotions faciles. Il s’agit avant tout de sensations humanistes. Bouleversant et revigorant.
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