Madrid, en plein été. Au début du mois d’Août, pour être précis. Une période où les madrilènes sont réputé-e-s pour quitter la ville afin d’échapper aux grandes chaleurs. Mais pas Eva, incarnée par Itsaso Arana, qui décide de louer un appartement à Madrid, où pourtant elle habite. Mais c’est une grande ville, ce geste permettant donc à Eva de découvrir une autre partie de la capitale espagnole. Par cette idée, le film peut se voir sous plusieurs primes de lecture : un portrait de Madrid en plein été, l’impression de (re)découvrir sa ville, la poésie des journées et soirées estivales, la succession des rencontres, et la succession des journées avec ce chapitrage jour par jour. Le geste d’Eva se confond donc avec un geste de cinéaste : elle explore, elle creuse ses désirs et ses interrogations, elle fait preuve de curiosité, et se laisse porter par le mouvement. L’expérience d’Eva est l’essence même du cinéma. Surtout que, tout au long du long-métrage, la protagoniste se laisse physiquement et émotionnellement portée par les possibilités qui s’ouvrent à elle. Dans sa ballade synonyme de vacances, elle découvre pour tout simplement vivre simplement (et à fond) chaque instant. Mais elle n’explore pas ni se ballade comme une touriste : parce qu’elle habite déjà Madrid, Eva est davantage dans l’introspection et la déambulation, que dans le pur plaisir innocent du tourisme.
Le cadre accompagne toujours Eva, se concentrant totalement sur le corps et sur les regards de Itsaso Arana. La caméra de Jonas Trueba se laisse porter par les mouvements d’Eva, qui elle-même se laisse porter par l’ambiance chaleureuse et festive de l’environnement. Rien n’est calculé, rien n’est prévu, tout part du pur hasard et de l’indécision. La déambulation d’Eva est toujours dans la spontanéité, et le cinéaste cherche pertinemment la beauté dans chacun de ces instants. La beauté de vivre le moment présent, sans parler du passé (nous savons très peu de choses sur Eva, qui dévoile certains éléments ici et là) et sans jamais évoquer une vision pour l’avenir. La beauté d’être tout simplement là, sur place, et de ressentir une existence qui vibre sous multiples sensations instantanées. D’où la belle idée du chapitrage, jour par jour, comme le journal intime d’Eva à propos de ses sensations les plus marquantes. Chaque journée étant un pas supplémentaire, un sourire supplémentaire, des aventures supplémentaires, vers la transformation en « vraie personne » comme se questionne la voix-off d’Eva en plein milieu du film. Malgré cela, la contemplation s’étire et peut faire ressentir un sentiment de redondance, tel un prolongement incertain d’un même mouvement.
Dans tous ces journées réduites à des moments, il y a toujours un élan commun. Peu importe où se rend Eva et qui elle rencontre, elle crée le premier mouvement. Un élan où elle se pousse elle-même à louer cet appartement, puis à en sortir chaque jour. Puis, une fois à l’extérieur, elle se laisse porter par ce que Madrid peut lui offrir dans l’instantané. Dans EVA EN AOÛT, il s’agit autant pour Eva que pour le cinéaste de créer le premier mouvement pour ensuite laisser l’expérience apparaître. Il n’y a aucune attente, uniquement un enchaînement incontrôlable de situations. Une belle manière de se laisser envahir par la ville, par les expériences, par les rencontres. Une belle manière également de s’imprégner d’une ambiance, d’une façon de vivre, d’une attitude sociale. De ce geste, le cadre en saisit l’insouciance du cœur qui bat, qui rend la vie si vibrante. Tout comme Jonas Trueba se colle presque à la chair d’Eva, mais aussi des autres personnages, pour que le cadre et les êtres ne fassent plus qu’une seule entité qui se ballade dans Madrid.
Poursuivre la chair des personnages pour mieux capter ce qui s’apparente à la (re)naissance des cœurs et des esprits, comme un geste de pure authenticité. Les personnages sont transparents avec les autres, se livrent sans hésitation, les zones de confort n’existent plus et la caméra s’immisce dans ces espaces plein d’énergies et de vérité. Une façon, aussi, de chercher une sorte d’allègement. Parce que EVA EN AOÛT n’est pas un film complexe à comprendre ou à suivre. Dès les premières minutes, puis tout au long du montage, il y a cette intention de petite fable / chronique très solaire et enjouée. Pas de drame, ni de tragédie, ni de mélodrame, ni de trauma. L’introspection est d’une beauté renversante, où Jonas Trueba cherche simplement à saisir une respiration. Même en accompagnant la chair de ses personnages, le cinéaste fait entrer l’air dans ses cadres, offrant aux espaces une fascination sensorielle. Au point que la photographie est composée d’un mélange poétique des couleurs (comme un accord parfait entre les personnages et les espaces), d’une modélisation plurielle de la chaleur (boire de l’eau, se baigner, les plans sur le ciel et le soleil, etc), et de nombreuses suggestions de l’ambiance festive. Cette respiration est l’idée même de l’esprit frivole de cet environnement.
EVA EN AOÛT (La virgen de agosto) ;
Dirigé par Jonas Trueba ;
Scénario de Jonas Trueba, Itsaso Arana ;
Avec Itsaso Arana, Vito Sanz, Isabelle Stoffel, Joe Manjon, Maria Herrador, Luis Alberto Heras ;
Espagne ;
2h10 ;
distribué par Arizona Distribution ;
5 Août 2020