A vouloir faire trop bien, à ne pas déroger à la réalité, à essayer de glorifier des personnages, le film finit par être assez insipide et indigent. Malgré la belle performance de Mahershala Ali, on a du mal à croire à Viggo Mortensen en italien. Non pas à cause de lui, mais surement à cause du scénariste Nick Vallelonga (fils du vrai Tony Lip) et de la mise en scène de Peter Farrelly, où les personnages italiens masculins sont remplis de manières caricaturales. Deux longues heures d’un voyage où tout se ressemble, où on s’attend à ce que les deux protagonistes s’apprécient et changent leur caractères. Aucune surprise dans ce film, donc. On peut apprendre une vraie histoire si on ne la connaissait pas, mais le traitement est si banal, que GREEN BOOK ne se démarque absolument pas vis-à-vis de son sujet sur le racisme. Un traitement banal car tout est misé sur la parole et sur la progression du scénario, le reste est en mode automatique. Toutefois, il est intéressant de voir comment les deux protagonistes peuvent dépasser leur intimité. Au-delà de leurs récits personnels, ce sont deux vies et deux pensées distinctes qui se rencontrent. Deux personnages qui apprennent l’un de l’autre, qui évoluent ensemble, comme si l’Union et la Confédération se mettaient à discuter, alors que la violence psychologique et physique perdurent.
Cependant, GREEN BOOK a un récit qui tente de mettre ses protagonistes face au racisme, face à une ambiance cruelle. Sauf que le film est tellement bavard et tellement concentré sur la relation entre ses deux protagonistes, qu’il en oublie de développer le contexte en relief. Mis à part quelques scènes, ici et là, où le musicien Don Shirley subit des actes racistes, les deux personnages n’affrontent absolument rien. Le relief et le hors-champ sont bien trop invisibles, car le ton entre les deux protagonistes est trop généreux. Même les moments ironiques et comiques enlèvent tout intérêt au fond cruel. On remarque très fortement que Peter Farrelly n’a peut-être pas obtenu toute la liberté nécessaire pour déployer un point de vue. Avec une narration très scolaire, une chronologie très linéaire (on ne compte plus les ellipses qui ramène le montage à un traitement factuel), et une direction moralisatrice toute tracée, GREEN BOOK est un film déjà pensé et bouclé dès la production et l’écriture.
Dans son esthétique, Peter Farrelly est contraint à une mise en image scolaire et récitée d’un scénario déjà bien trop faible. Rien que la photographie est d’un naturalisme fade : à force d’accumuler les champs/contre-champs en plans serrés, le cadre ne peut qu’offrir du flou en arrière-plan et ainsi ne pas chercher la lumière et les couleurs omniscientes. Alors qu’il y a un énorme effort effectué sur les décors et l’attention portée sur les détails, ils ne ressortent jamais dans le cadre. La photographie se concentre bien trop sur ses protagonistes, et ne sort jamais de cette focalisation pour définir une ambiance précise. A cause de ce naturalisme fade, GREEN BOOK hésite constamment entre plusieurs ambiances (drame social, historique, comédie, biographie pure). Cela se ressent même dans la mise en scène de Peter Farelly, que l’on a connu davantage inspiré dans les farces loufoques qu’il faisait avec son frère Bobby. Ici, sa mise en scène est en retrait, hyper retenue (froide et sans risque), minimaliste et totalement figée dans un récital de scénario. Comme si la mise en scène aurait peur de traiter le contexte historique de la ségrégation. Histoire de plaire à tout le monde, de ne fâcher personne, et d’avancer tête baissée.
Avancer dans un voyage isolé, où ni le scénario, ni la mise en scène, ni le cadre n’ont le sens de l’espace. Ce film se présente comme un road trip, mais jamais GREEN BOOK ne se préoccupe des espaces visités et traversés par les deux protagonistes. Les routes sont anecdotiques, les clubs et bars sont synonymes d’extravagance ou de violence, les performances sont courtes et se ressemblent toutes, les foyers domestiques ne sont que des problématiques inabouties, les restaurants et les hôtels sont des accumulations inutiles. Le voyage de GREEN BOOK ne sait pas mettre en scène les espaces, et n’a aucune idée de comment relier l’évolution des personnages avec les espaces. Comme si, peu importe les espaces choisis par le cinéaste pour tourner son film, ce-dernier serait identique. Cela donne alors une esthétique complètement académique, où les cadres se répètent alors que les personnages évoluent, résultant d’un style impersonnel et sans aucune folie. Mais bon, il ne faut tout de même pas bouder le caractère sympathique et léger de l’aventure où deux personnages que tout oppose se rencontrent.
GREEN BOOK – SUR LES ROUTES DU SUD
Réalisé par Peter Farrelly
Scénario de Nick Vallelonga, Brian Hayes Currie, Peter Farrelly
Avec Viggo Mortensen, Mahershala Ali, Linda Cardellini, Sebastian Maniscalco, Dimiter D. Marinov, Mike Hatton, P.J. Byrne, Joe Cortese
États-Unis
2h10
23 Janvier 2019
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