La belle et la belle

Le cinéma de Sophie Fillières est à l’image des titres de ses films (Arrête ou je continue, Un chat un chat, Grande petite, …) : cocasse. L’humour de LA BELLE ET LA BELLE s’effectue par le décalage, à la fois de la parole mais aussi des attitudes. Il y a un jeu de miroir dans la mise en scène, en reflétant les comportements de l’une sur l’autre et inversement. Pour ne pas se noyer dans ces décalages cocasses, Sophie Fillières travaille sur le verbe et sur la déclinaison des comportements. Ainsi, la parole permet de renouveler la cocasserie avec un sens de la poésie théâtrale. En parallèle, les déclinaisons sont ces quelques irrationnalités que l’on peut remarquer dans les performances (quelques changements de mouvements et saccades). Le problème de cet esprit cocasse est qu’il ne s’en tient qu’au postulat. Les décalages sont si nombreux, que le ton devient rapidement frivole. Le film semble tourner continuellement autour de la même idée, au point de s’étourdir dans le décalage superficiel.

Une frivolité aisément remarquable par le manque évident de fantaisie. Il y en a un peu, ici et là, mais absolument pas suffisamment pour justifier la poésie à laquelle LA BELLE ET LA BELLE prétend. L’humour pince-sans-rire a du mal à se mettre en place, jusqu’à rapidement perdre le rythme et ne sachant plus vraiment à quel instant il doit se dévoiler le plus. Cependant, Sophie Fillières possède toute la tendresse et la légèreté necessaires pour remédier à ce manque de fantaisie. Avec une caméra proche de ses comédiennes, elle crée la projection de l’image de l’une dans l’image de l’autre, et inversement. Avec sa légèreté, la cinéaste réussit aussi à projeter la grâce de l’une dans la vulnérabilité de l’autre, et aussi inversement.

Pourtant, le film pourrait se transformer en un spleen très romanesque. Il y a l’ingrédient nécessaire : la mélancolie de l’apprentissage et la mélancolie de la seconde chance. La mise en scène et le montage réussissent la prouesse de la nuance dans la bascule, celle entre l’apprentissage de la jeune Margaux et la seconde chance de Margaux plus âgée. Là où d’autres cinéastes plongerait directement dans le film de fantômes, ou le retour physique dans le temps (tel l’horrible BIS avec Dubosc et Merad), d’autres comme Sophie Fillières arrivent à juxtaposer l’abstraction imaginaire (le futur de la jeune Margaux) et le graphique sinueux de la Margaux plus âgée (des choses à réparer, des souvenirs, des joies, des gags, …). Toutefois, la juxtaposition ne tient pas longtemps. Outre un prologue douteux sur la jeunesse d’aujourd’hui, l’idée du remariage ne tient que sur son idée, et s’engloutit progressivement dans la redondance.

Pourtant, il y a toute la gravité dramatique et mélodramatique que le spectateur peut attendre de la seconde chance. Entre les décisions à prendre, les regrets, les erreurs et le temps qui passe, il y a toute une palette d’ambiances que la cinéaste explore. Mais à part le personnage de Melvil Poupaud (qui est comme une corde sensible entre les deux versions de Margaux), tout le reste de la gravité s’attache trop à la nostalgie du temps ou à la simple mention. Cela ne suffit évidemment pas, jusqu’à rendre un montage de saynètes où la cocasserie stagne.

LA BELLE ET LA BELLE
Réalisation : Sophie Fillières
Casting : Sandrine Kiberlain, Agathe Bonitzer, Melvil Poupaud, Lucie Desclozeaux, Laurent Bateau, Brigitte Roüan, Christophe Odent
Pays : France
Durée : 1h35
Sortie française : 14 mars 2018

2.5 / 5
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