Écrit et Réalisé par Alberto Rodriguez. Avec Raul Arevalo, Javier Gutierrez, Antonio de la Torre, Nerea Barros, Salva Reina, Manolo Solo, Jesus Castro. Espagne. 105 minutes. Sortie française le 15 Juillet 2015.
Le film de Alberto Rodriguez n’est pas un film d’intrigue. LA ISLA MINIMA est un polar qui reprend les codes du genre, surtout dans l’élément narratif. Ce qui démarque ce long-métrage, dans ce qu’il emprunte ailleurs. C’est dans son esthétique – sa photographie et ses décors –, puis par son découpage, que ce polar a des airs d’horreur et de fantastique. Tout en allant observer le milieu du thriller, si convoité par les polars des dernières décennies. Le principe de ce mélange, c’est dû aux personnages. LA ISLA MINIMA se concentre sur le point de vue de ses protagonistes, et en devient un film de personnages. C’est là que les codes classiques du polar sont imbriqués, ils servent uniquement à décrire l’environnement de la communauté. Ce village, entouré de champs et de marécages, est la source d’une approche thriller (par les bâtiments justifiant un jeu de pouvoir, par les allers-retours dans les lieux toujours plus tendus, …) et d’une approche horrifique (les cachettes possibles, les plans larges sur des courses poursuites, de étroites routes interminables, …).
Ces espaces ont deux fonctions dans le traitement du mélange. Tout d’abord, la touche thriller donne aux lieux une immersion du cadre. Avec beaucoup de plans en caméra subjective, le film permet de tester la psychologie des protagonistes. En ayant une paire de flics, qui ne se connaissent pas tellement, l’intrigue devient la leur. Ce n’est plus l’enquête que l’on suit, mais bien l’évolution et les sensations de ces personnages principaux au sein du polar. Le côté thriller permet la manipulation fusionnée des spectateurs et des personnages. Alberto Rodriguez contrôle totalement ses protagonistes, et le polar pourrait ainsi suivre d’autres directions. Même avec la séquence finale, les révélations effectuées, une suite serait logique – tellement il y a des possibilités avec ces deux flics.
D’une autre part, le fantastique intervient aussi dans ce polar. Il y a une grande partie d’imaginaire dans le découpage, notamment dans tous ces plans aériens. Comme si, par ses personnages et ses espaces, le film se dirige vers un nouvel univers. Le fantastique, ici, n’est pas l’argument de la fantasmagorie ou du fantasme. Même s’il y a peu d’ombres (malgré la forte présence de soleil), toute silhouette et toute ouverture d’espace se transforment en illusions. De plus, plus l’intrigue avance, plus les lieux deviennent hostiles. Les marécages deviennent des abîmes, les pièces deviennent des prisons et les lits deviennent un bain de chair morte. C’est toute une idée de cauchemar qui s’empare de nombreux plans. Puis, à quelques moments du film, cette dimension fantastique viendra se greffer à la dimension thriller.
Le plus intéressant dans LA ISLA MINIMA, c’est surement le travail entre la pré-production et le tournage. Parce que les codes classiques du polar font de l’intrigue une ligne lisse et juste propre. La narration prend son envol, et surtout son rythme, grâce au découpage. Avec les emprunts effectués au thriller et à l’horreur, il y a une alternance d’échelles des plans mise au profit des sensations. C’est le montage, et la diversité des plans (comme l’immersion et les plans aériens), qui permet à la narration de porter plusieurs tons. Il y a un avant et un après dans ce long-métrage, où le grand point de bouleversement est dans la séparation des protagonistes (l’apparition des indics). Dans cette narration, chaque séquence est à la fois indépendante des autres (par le mélange des genres), mais aussi liée (par le polar) aux suivantes. Ces côtés thriller et horreur permettent au film de compter plusieurs petits climax, et ainsi de suivre un schéma narratif parabolique (contourner certains codes pour mieux les exploiter).
Ensuite, les côtés thriller et fantastique ont l’avantage de jouer avec l’ambiance. Car celle du polar, à cause de ces codes classiques, serait déjà attendue et redondante (suspense, calme, suspense, …). Or, dans le film d’Alberto Rodriguez, l’ambiance est toujours très tendue. Elle est toujours entre deux chaises, entre le thriller et le fantastique. C’est parce qu’elle vient de l’esthétique que le long-métrage peut fournir des sensations multiples. L’ambiance n’a pas qu’un seul visage, et évolue tout au long des séquences. Aucune ne se ressemble, et en grande partie grâce à toutes ces couleurs et cette lumière. Plusieurs fois sombres ou très lumineux (l’illusion), en se mariant avec l’hypnose et le festival de références esthétiques au film d’époques. L’ambiance vient de l’esthétique, et ça montre tout l’intérêt de la scénographie.
Malgré cet énorme travail sur l’esthétique, il y a une partie du boulot qui a été minimisée. Le seul élément du film où le mélange thriller, horreur, fantastique n’intervient pas, c’est dans la mise en scène. Les protagonistes suivent une même directive, celle de s’inscrire dans l’instant sensoriel. Or, en étant affectés aussi à la résolution finale du polar, ce sont des personnages qui ne peuvent se permettre des écarts. Pas de liberté pour les deux acteurs principaux, mais des performances très satisfaisantes de la part des personnages secondaires. Les attitudes des deux flics trouve leur causes dans celles des personnages secondaires.
Autre point négatif du film, mais cela ne reste qu’un petit détail. Il faut revenir sur cette volonté, inscrite dans le pitch (et dans le dossier de presse, à l’occasion) de décrire une époque post franquiste. Ce n’est pas avec quelques tags sur les murs, ou sur le passé mystérieux d’un personnage, que l’ambiance montrera ses références. Les relations entre personnages sont trop floues pour suggérer l’époque post franquiste. Ce détail est tellement creux dans le film, qu’il fallait souligner ce désir non abouti. Mais qu’importe, cette idée n’enlève pas au film son mélange des genres saisissant, permettant d’amener la narration et les ambiances.
4 / 5