La Jalousie

Louis quitte Mathilde avec qui il a eu un enfant pour Claudia. Louis et Claudia font du théâtre. L’un enchaîne les rôles tandis que l’autre ne joue pas. Claudia aime Louis, mais elle a peur qu’il la quitte. Un soir, elle fait la rencontre d’un architecte qui lui propose du travail. Louis aime Claudia, mais maintenant c’est lui qui a peur qu’elle le quitte… Et au milieu, il y a Charlotte, la fille de Louis.

Ca vous dit une petite ballade au coeur de l’amour ? Dans cet amour fou qui traverse tous les personnages du film. Cet amour, renversant dans les deux sens du terme. L’amour qui s’évanouit, l’amour qui sort de sa carapace, l’amour en coup de foudre. Pour cela, la famille Garrel est aux commandes. Tout au long du film, on comprend qu’il n’y a pas de réel enjeu, de trajectoire précise. Le film tend plutôt vers une tranche de vie, vers l’exploration de personnalités au travers du quotidien. C’est en cela que le film peut saisir : c’est un film de personnages où il est question d’amour entre chacun.

Sans aucun artifice, sans prétention. Tout est naturel. La mise en scène reste modeste, et les dialogues sont intelligents, sans aller vers la métaphysique ou la psychologie poussée. On sent une volonté d’aller au plus simple, d’aller vers une vérité. Ce qui fait le charme de ce film, c’est l’ordinaire dont il faut preuve. Ces personnages sont communs, ils ont juste les problèmes habituels de la vie, avec l’amour combiné. A partir de là, Philippe Garrel construit une réalité qui touche du doigt le réel, sans jamais prétendre le copier.

Le film fonctionne tel un poème. Un certain lyrisme se dégage du film, et détache une grâce qui nous frappe comme une évidence. Une poésie qui nous dit que l’amour est quelque chose de (presque) incontrôlable. Il y a une sorte de nécessité et d’enfermement qui s’entremêlent dans ces destins croisés. Dans ses travellings, on croirait que le film nous raconte un conte de fée qui tourne toujours du mauvais côté. En cela, on s’attache facilement au sort des personnages, et leur fragilité devient l’essence du romantisme.

Avec cela, il faut compter sur le Noir et Blanc de la forme. Un film sans couleurs, qui prend tout son sens à chacune des scènes. Car, en vérité, le film n’est jamais noir ou blanc. Ce n’est jamais du tout ou rien. Philippe Garrel vague plutôt sur du gris nuancé, où des fois on peut frôler le noir ou le blanc. Mais l’un reprendra aussitôt le dessus. Comme un semblant de train fantôme, où les personnages sont à l’aise devant leur situation. Et à l’instant d’après, explosion des sentiments et des personnalités, pour que la jalousie prenne le dessus et que l’amour soit mis à rude épreuve.

Il est nécessaire de mentionner la musique de Jean-Louis Aubert. Il est tellement rare de pouvoir entendre une telle utilisation de la musique, que c’est un plaisir dès qu’elle s’offre à nous, spectateurs. Il ne s’agit pas d’une musique dans un film (comme trop de fois au Cinéma), mais il s’agit bien de la chanson pour le film. Cette manière pour la bande originale d’accompagner la narration tout le long, et de ne jamais essayer de la dépasser ou de la combler. Elle fonctionne comme le récit, dans une structure narrative poétique. Ce petit bijou de musique viendra vous tendre l’autre joue pour recevoir une nouvelle claque d’amour.

Philippe Garrel joue aussi beaucoup sur le temps. La perception de l’imaginaire romantique dans ce film est essentielle. Pour cela, le réalisateur français fera de son récit une fable intemporelle. Voilà une autre fonction pour la forme en Noir & Blanc. Mais surtout, cet amour fou et cette jalousie peuvent se vivre à tout âge, à travers toutes les générations. Et cela se remarque lorsque les parents sont mentionnés, lors de la scène du vieil écrivain et très visibles lors des apparitions de la fille de Louis.

En quelque sorte, nous avons un hiver très froid dans ce film. Froid dans le sens où le gris du Noir & Blanc vient percuter chaque rayonnement de l’amour. La froideur vient également dans une confrontation très nette à l’image. La beauté, constamment recherchée par la caméra de Philippe Garrel, vient s’opposer à la complexité d’arrondir les fins de mois. Quand l’intime vient se nouer au professionnel, avec un petit discours du « fait ce que tu aimes, tu te sentiras mieux ».

Il y a comme une sorte de battement de coeur où tout devient spontané, lunatique, sans pour autant ne pas être rigoureux et beau. De ce fait, le film ne peut jamais rencontrer le fatalisme, ni même le positivisme (et encore moins le négativisme). C’est avec ceci que le film revisite plusieurs genres du cinéma : aussi bien porté vers le mélodrame, que vers le tragique ou vers la comédie humaine à certains moments. La seule chose qu’on pourra reprocher à ce film, c’est sûrement un petit manque de tourbillon dans tout ce poème. Comme un accident dans un son, une musique, qui fait qu’on tend l’oreille encore plus.

4 / 5
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