Réalisé par Giulio Ricciarelli. Écrit par Giulio Ricciarelli et Elisabeth Bartel. Avec Alexander Fehling, André Szymanski, Friederike Becht, Hansi Jochmann, Johann von Bulow, Gert Voss, Johannes Krisch. Allemagne, 120 minutes. Sortie française le 29 Avril 2015.
Voilà un film qui, par le biais des mots écrits, explose un silence qui a duré trop longtemps. Le principe est simple : ne pas montrer d’images d’horreur, mais la suggérer par la parole. Tous les dialogues sont des arguments à faire ressortir les maux d’une période de l’Histoire. Même quand le protagoniste est au camp d’Auschwitz pour constater à quoi il ressemble (la seule fois dans le film où le spectateur verra le camp), il n’est pas question d’y entrer. Le camp est filmé de l’extérieur, derrière les barbelés. Un scénario qui se base donc sur les mots, pour laisser imaginer le passé, qui fera taire l’amnésie et réveiller les consciences.
On peut appeler cette oeuvre un film-dossier, puisqu’il y est question de ressortir des archives pour constituer un devoir de mémoire. C’est avec très peu de musique, un silence hantant toutes les ambiances des scènes, que le film progresse avec pudeur. Parce que l’intrigue se déroule avec une idée du « seul contre tous », et c’est là que Alexander Fehling est étonnant. Avec un environnement à l’image paisible et joyeuse (voir la première scène, où des élèves sortent vers la récréation en s’exclamant, avant d’arriver vers la révélation d’un personnage ancien nazi), le protagoniste est l’élément perturbateur de l’intrigue. C’est lui qui jouera l’argument extérieur à l’ambiance tranquille. Le problème de cette idée, c’est que le schéma narratif est trop programmatique. Le protagoniste comme perturbateur suit une évolution fil à fil, niveau par niveau.
Autre détail du film classique, c’est la forme – liant le découpage et le montage. Les plans sont tous d’une rigueur conventionnelle élevée. A travers le cadre, le film ne crée aucun langage et ne cherchera jamais à élaborer un point de vue profondément. La seule approche apparente est la caméra toujours en train d’embrasser l’idéologie pédagogique, instaurée par le protagoniste même dans ses paroles et ses actions (son objectif, en somme). Même si les plans de la scène finale – le film s’arrête au tout début du grand procès – sont suggestifs et jouent parfaitement du hors-champ, le film avance vers un but précis. L’intrigue n’est jamais autonome, et doit toujours suivre un cheminement conventionnel dans les plans. Ainsi, les scènes calmes et les scènes dynamiques sont gérées différemment, mais à chaque fois respectivement de la même manière.
Tandis que le montage est très propre. C’est là toute l’ambiguïté du film : le découpage est surtout composé de plans courts. Il n’y a pas beaucoup de scènes, et particulièrement de temps, pour se reposer. Même les scènes dans les bureaux sont révélatrices d’informations capitales. Puisque tout est dans la parole (la mise en scène physique du mouvement est très limitée à l’essentiel), le rythme provient du montage. Avec les plans courts, le film crée une dynamique de la rapidité. Avant de se reposer à deux séquences de la fin (la démission d’un personnage), le découpage convertit en visuel l’énergie des personnages qui enquêtent. Il y a une urgence qui se ressent dans la plupart des scènes, comme un trou noir qui doit vite être rempli. Tel un empressement de sortir d’un labyrinthe oppressant de silence et de solitude.
Autre élément à mettre à l’avantage du film, c’est sa reconstitution. Noble en tout point, il y a eu un énorme travail de scénographie et une justesse fascinante sur la photographie. Dans chaque plan, les personnages ne sont pas nécessairement mis en lumière. Mais les espaces deviennent les enjeux principaux de l’intrigue. Depuis le petit bureau ou l’enquête progresse, jusqu’aux rues avec les arrestations, etc : le film se projette dans l’illusion d’un monde rêvé. La photographie laisse penser que la renaissance n’a en fait jamais eu lieu, que le silence environnant cache un pays en ruines. Tous ces non-dits sont transmis dans les plans, et les couleurs sont autant d’arguments d’une illusion que les décors. L’aspect minutieux de reconstitution de lieux provoque une sensibilité à un environnement, une ambiance étouffant de maux.
Le grand défaut du film, est d’exposer trop aisément les faits. A travers l’enquête effectuée par le protagoniste, une pédagogie du devoir de mémoire s’installe. Pendant les quarante premières minutes, il s’agit uniquement de l’enquête qui s’étoffe petit à petit : la recherche d’indices, de preuves, de victimes, de coupables, etc. C’est dans ces séquences que le schéma narratif du film est le plus pénible. Après, le film fera moins attention à ses faits purs. Il sera moins dans l’informatif que dans l’exploration. En effet, une fois plusieurs anciens déportés retrouvés, le film prendra un tout autre envol. Les personnages peuvent enfin s’exprimer, et les acteurs se lâcher. La retenue des quarante premières minutes disparaît, et laisse place au déroulement d’émotions. Le film explore les conséquences, les cicatrices, les révélations, les justifications et les relations entre les personnages. Chaque lien entre les personnages sera remis en question – une fois chacun, malheureusement, mais c’est déjà honorable de s’y aventurer. L’une des plus belles scènes du film est celle où des anciens déportés viennent témoigner à une table devant Alexander Fehling. La succession des témoignages s’effectue sans parole, seulement avec des attitudes. Tout l’enjeu du propos se résume dans cette scène : ce ne sont pas les faits qui importent, c’est davantage garder la mémoire des victimes.
3.5 / 5