Premier long-métrage d’Etienne Kallos, qui explore la rivalité entre deux jeunes hommes : l’un est le fils d’un couple de fermier, l’autre est orphelin et débarque dans le domicile familial. Le récit se déroule en Afrique du Sud, au sein d’une communauté très croyante et pratiquante de la religion chrétienne (les Afrikaners). Il est donc question de croyance, d’obéissance, de virilité, de dévotion et de travail. Quand l’un respecte la religion et se dévoue corps et âme aux ordres et au travail de ses parents, l’autre est plutôt dans la rébellion et la transgression de toute règle. Etienne Kallos déroule cette rivalité dans le temps, il prend le temps d’exposer les jeunes hommes, et d’instaurer une tension qui se transformera en rivalité. Dans sa mise en scène, le cinéaste met donc en opposition la mélancolie et l’énergie. Alors que Janno incarne la mélancolie de l’incompréhension, Pieter est l’énergie d’une jeunesse rebelle. Les deux personnages sont pourtant indéniablement liés, les regards se croisant et les corps se rapprochant, comme s’ils étaient deux versions d’une même idée de l’héritier de la famille. L’un contient la raison et l’autre possède la force.
Sauf que cette rivalité affecte évidemment le reste de la famille. Avec une lumière adoucie, des corps tendus, des espaces qui s’étendent à perte de vue, des regards lointains et discrets, LES MOISSONNEURS a une ambiance très pesante dans son esthétique. La photographie du film fait souvent ressortir quelque chose de perturbant dans les images, comme s’il y a toujours une errance ou un défaut dans le champ. Mais au lieu d’aller chercher l’élément de déviation, Etienne Kallos regroupe absolument tout dans un seul cadre, et tient à mélanger les opposés. Son cadre accompagne tous les personnages en même temps, en confondant donc l’errance et la dévotion dans un même plan. Il n’essaie pas d’explorer la barrière entre les deux, il se focalise sans cesse sur l’opposition permanente entre les deux. LES MOISSONNEURS n’a alors aucune nuance, mais arrive à instaurer une violence sourde. Parce que, si le mélange des deux ne permet aucune nuance, Etienne Kallos construit ses cadres selon une forme de méfiance et de contestation.
Cela a un impact sur les espaces filmés : le silence se répand partout, et provoquent une hésitation entre la dévotion et la souffrance. Cette dualité provoque une errance chez les deux jeunes hommes, voués à leurs sensations propres et instantanées. Alors que l’espace est décrit comme un travail sur le temps, la mise en scène se déploie dans des actes impulsifs. La violence sourde progresse alors que les espaces sont filmés dans des immensités bien vides. Une progression en contradiction aussi avec la ressemblance et la redondance du coloris morose. Chaque espace est un isolement bien trop hostile, alors que les convictions personnelles des jeunes hommes sont fortes. Il y a un manque cruel de point de vue dans les espaces, au regard de la rivalité entre les deux protagonistes. Bien que le final propose enfin une projection formelle de la violence sourde et de la rivalité, il aura fallu attendre près de 90 minutes pour voir une évolution dans les espaces. Trop de contemplation et de paisibilité dans les espaces, alors que le reste est très étouffant. Dommage.
LES MOISSONNEURS (Die Stropers)
Écrit et Réalisé par Etienne Kallos
Avec Brent Vermeulen, Alex van Dyk, Juliana Venter, Morne Visser, Lily Bertish, Jan-Daniël Naude, Joshua Anderson
Afrique du Sud, France, Grèce, Pologne
1h42
20 Février 2019