Love & Friendship

Réalisé par Whit Stillman
Avec Kate Beckinsale, Morfydd Clark, Emma Greenwell, Xavier Samuel, Justin Edwards, Tom Bennett, Chloe Sevigny, Stephen Fry, Jenn Murray, Lochlann O’Mearain, Jordan Waller, Kelly Campbell, Jemma Redgrave.
Irlande / USA / France.
95 minutes
Sortie le 22 Juin 2016

Angleterre, fin du XVIIIème siècle : Lady Susan Vernon est une jeune veuve dont la beauté et le pouvoir de séduction font frémir la haute société. Sa réputation et sa situation financière se dégradant, elle se met en quête de riches époux, pour elle et sa fille adolescente. Épaulée dans ses intrigues par sa meilleure amie Alicia, une Américaine en exil, Lady Susan Vernon devra déployer des trésors d’ingéniosité et de duplicité pour parvenir à ses fins, en ménageant deux prétendants : le charmant Reginald et Sir James Martin, un aristocrate fortuné mais prodigieusement stupide…

Il faut du culot pour adapter Jane Austen dans ses moments les plus drôles. Le plus compliqué est d’adapter un roman sous forme épistolaire en long-métrage de type plus romanesque. Il faut alors imaginer le correspondant, il faut traduire les lettres en scènes et donc répliques, et peut-être même penser à créer de nouveaux personnages. Le point fort de l’adaptation de Whit Stillman ne tient pas qu’au texte noir sur blanc, mais au contexte : le récit est une émancipation féminine dans la société victorienne, ainsi le cinéaste décide de faire parler plusieurs personnages féminins – tous différents les unes des autres. C’est là que le texte prend son envol, par la diversité des points de vue dans le nombre de personnages féminins. Comme si le film contient plusieurs univers de pensées vis-à-vis du comportement de la femme.

Déjà dans l’introduction, les personnages ne sont pas présentés comme d’habitude : le cinéaste s’amuse à les positionner face caméra sans parole, en inscrivant leurs noms en bas du cadre. Telle une liste des noms des personnages dans la première page d’une pièce de théâtre. Il y a quelque chose de théâtral dans cette émancipation, dans ces divers univers féminins : une satire s’empare de l’intrigue romantique, devenant une comédie réjouissante. L’audace de la mise en scène est à double tranchant : il y a le mouvement constant, passant d’espaces à d’autres en un éclair, accompagné de répliques assassines sortant presque d’une mitraillette bloquée. Ces paroles épicées est le contrepoint de la forme, car le verbe cinglant est le miroir de l’ironie des costumes étincelants.

Cette absurdité est toujours dans la subversion (exemple de la création du personnage de Sir James Martin, idiot pour le plus grand plaisir du public) et à la fois dans l’acerbité. Il serait possible de rapprocher le long-métrage de Whit Stillman des LIAISONS DANGEREUSES de Stephen Frears. A la fois dans l’étourdissement des intrigues amoureuses où les cartes sont tout le temps redistribuées, un peu comme s’il s’agissait de coups de pokers (miser sur telle ou telle attitude, manipulation) et de balle au prisonnier (éliminer telle personne pour en manipuler une autre). C’est à la fois l’empathie froufrou pleine d’incongruité, où l’observation de ce groupe social fait preuve de tendresse et de de jouissance du désir ; mais c’est aussi une repartie tant joviale que lapidaire. Les personnages se détruisent entre eux mais surtout eux-mêmes, parce qu’ils sont en proie à leur propre jeu.

Il serait malavisé de dire que le film ne parle que le langage du verbe et non celui de la caméra, que la parole prend la place de l’image. C’est être dépourvu de raison face au classicisme : dira t-on de TITANIC (James Cameron) que l’Histoire et la romance passent avant l’image ? Au contraire, le classicisme a un pouvoir de vertu qui se peint dans l’élégance. Dans le long-métrage de Whit Stillman, pas besoin de chercher des angles de vue et des échelles phénoménales : là n’est pas l’intérêt. La caméra se fait délicate pour au mieux respecter les personnages, pour les laisser s’épanouir dans le décor. La caméra n’est pas un témoin, elle est l’ami de chaque personnage. Et ce langage pluriel, alors que les points de vue s’affrontent dans le récit, montre une volonté pudique de ne pas dé-naturaliser le romanesque de Jane Austen.

Ainsi, les attitudes sont de plus en plus désabusées au fil du temps qui progresse. Les attitudes parfois figées sont autant de subversion que de repartie cinglante. Les marches lentes sont une aseptisation des sentiments, des émotions des personnages. Pour que le récit tienne la route et puisse suivre son cours dans la plus grande ironie, il faut que les points de vue parlent le même langage. Whit Stillman l’a très bien compris, c’est alors que la mise en scène et l’esthétique sont constamment dilués dans le temps : une sorte de déstabilisation progressive provoquant un enlisement dans les intentions des personnages. Il faut voir comment, malgré une caméra qui ne bronche pas et qui ne dégénère jamais, les personnages perdent de plus en plus pied et finissent dans une sorte de chaos qui rappelle les scènes finales du théâtre classique.

La vision du théâtre a certainement beaucoup aidé dans la mise en scène et l’esthétique de ce film, parce que les personnages sont la plupart du temps en intérieur. On pourrait parler d’une esthétique du reclus : peut-être l’enfermement de ses sentiments, de ses intentions, voir de soi-même. Peu importe la justification que l’on peut donner, les extérieurs sont les espaces qui redonnent une fraîcheur aux sentiments, un espoir de liberté : tel un rêve d’ailleurs. Tandis que les intérieurs sont comme un gouffre pour chaque personnage, l’emprisonnement des esprits qui en résulte le verbe cinglant. L’esthétique est donc formée ainsi : toujours repousser les corps dans le froufrou de l’intérieur, où la repartie résonne et la destruction n’est que plus subversive.

Comme quoi, Jane Austen n’est pas une romancière réservée aux demoiselles et aux femmes. C’est bien plus subtil que cela. Petits pois.

4 / 5
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