Médecin de nuit, d’Elie Wajeman

Un médecin fait plusieurs allées et venues durant la nuit, dans les rues de Paris. Il se rend à des rendez-vous en urgence, il soigne des patients de quartiers difficiles, mais il vient aussi en aide à des personnes abandonnées : des toxicomanes. Parmi tous ces mouvements, toutes ces missions, il cherche simplement à aider. Comme il le dit à l’enquêtrice au début du film : tout est politique. Sauf qu’il ne s’agit pas de sa seule activité. Il est entraîné par son cousin pharmacien dans un dangereux trafic de fausses ordonnances pour un médicament. Tout ceci impacte évidemment sa vie de couple, sa vie de famille (parce qu’il faut bien un peu de romance…) pour essayer de pimenter un peu les enjeux du film. Le scénario s’efforce de montrer que la vie du protagoniste est un chaos total. C’est ainsi que l’histoire se déroule naturellement pendant une nuit, afin d’en créer un film noir. Il manque cependant le caractère répétitif de l’activité de Mikaël, parce que le récit se déroule en une seule nuit. Comme si la présentation de chaque problématique est en même temps une tentative de résolution. Le protagoniste a une seule nuit pour tout résoudre, forçant le film à confondre exploration et solution. En multipliant les couches de récit, le réalisateur accélère maladroitement sa narration, et ne se laisse pas toujours le temps de décortiquer chaque élément.

Ce qui implique que, plus le long-métrage progresse, plus les personnages s’affaiblissent. Alors que le chaos s’installe de plus en plus dans les espaces, les personnages ne sont plus que les archétypes d’eux-mêmes. Pourtant, cette multitude de couches de récit permet d’alimenter la mise en scène de différents tons. MÉDECIN DE NUIT navigue avec assurance entre le mélodrame (même si un personnage secondaire s’avère bien inutile et très caricatural), le thriller et le drame pur. Le mélodrame parce que ce médecin s’éloigne de sa famille, le thriller parce qu’il est engagé dans des activités dangereuses, et le drame pur parce que Elie Wajeman le fait s’interroger sur la partie humaine de son métier. Même si c’est surtout le thriller qui s’impose, et que les deux autres n’existent que par parcimonie, la mise en scène se sert de chaque moment pour créer la complexité du protagoniste. A plusieurs reprises, la mise en scène brouille les pistes et montre que plusieurs arrivées sont possibles, au bout de cette nuit. Mikaël peut se diriger vers le pardon, vers la mort, vers l’honneur, ou vers la fuite. La mise en scène consiste à confronter toutes ces pistes, toutes ces possibilités, sans nécessairement en choisir une seule.

Pour cela, Elie Wajeman multiplie aussi les espaces traversés et visités par son protagoniste. Avec autant d’espaces, c’est l’ambiguïté qui règne. L’inquiétude est partout et nulle part à la fois, dont l’ampleur dépend de la confiance ou de la méfiance portées aux personnages secondaires. Là où des médecins occupent des lieux rassurants comme des cabinets, Mikaël arpente le terrain et décide de plonger en plein cœur des abysses. Mais surtout, la multiplication des espaces est un étau qui se resserre pour le protagoniste. Plus il en parcourt, plus il se perd dans cette nuit chaotique. Plus il en traverse, plus il s’éloigne des points d’encrage qui lui permettent de rester droit. Il n’y a aucune issue, juste des espaces qui se multiplient où les personnages s’enfoncent progressivement. L’inquiétude est donc cette distance qui augmente petit à petit, où l’activité de médecin prend une tournure dangereuse en s’éloignant de la sérénité. Une activité censée soignée des gens, mais qui déchaine l’obscurité quand elle côtoie la mort. Dans MÉDECIN DE NUIT, les rues sont étroites et longues, mais aussi désertes et presque perdues géographiquement. Alors que l’espace obscur s’étire, cette perception des rues est à la fois une exposition fiévreuse de ce qui est discret, mais aussi la mise en scène de l’humanité qui s’échappe à petits feux.

Malgré une certaine surenchère dans la volonté de porter le film vers des moments qui occultent les personnages pour se focaliser uniquement sur les codes du genre, il y a une envie de faire éclater les images d’un Paris romanesque et mystique. Ici, les rues sont déstructurées et sont inquiétantes, où la seule population qui les occupe est furtive (car abandonnée) ou agitée. Pourtant, l’esthétique des espaces n’est qu’un vernis pour montrer que chaque événement se déroule dans l’ombre, à l’écart de la perception ordinaire. Le chaos n’est donc pas tellement dans les extérieurs, mais avant tout dans les intérieurs. C’est lorsque le danger s’invite dans le rapprochement (corporel entre les personnages, ou quand le cadre décide de se focaliser sur un morceau d’espace), que le film trouve son intensité. Comme lorsque Vincent Macaigne invite des personnes dans sa voiture, ou même dans les restaurants, dans la pharmacie, dans l’appartement, etc. La capitale française est vue comme un espace bipolaire, pouvant être le lieu de sentiments exacerbés et le lieu d’une grande violence (physique ou psychologique). En plongeant son récit intégralement dans la nuit, le film déguise Paris en cauchemar pour voir la souffrance en plein cœur. Tel le manteau en cuir noir de Vincent Macaigne, qu’il enlève et remet très souvent devant le cadre. C’est dans le basculement vers le cauchemar que les fractures se révèlent.


MÉDECIN DE NUIT ; Réalisé par Elie Wajeman ; Scénario de Agnès Feuvre, Elie Wajeman ; Avec Vincent Macaigne, Pio MarmaÏ, Sara Giraudeau, Sarah Le Picard, Lou Lampros, Florence Janas ; France ; 1h22 ; Distribué par Diaphana ; Sortie le 16 Juin 2021