Mission Paradis, de Richard Wong

Le désespoir de ne pas avoir une vie sexuelle est au cœur des préoccupations des trois protagonistes. Remake du film belge HASTA LA VISTA (2011), c’est l’histoire de jeunes hommes avec des situations de handicap qui décident de tracer la route sans rien dire à personne. Avec l’aide d’une infirmière mobile qui les prend dans son van, ils se dirigent vers une maison de prostitution dans le nord du pays. Cet endroit les fait rêver : il existe spécialement pour aider les personnes en situation de handicap, qui leur permettrait de perdre leur virginité. MISSION PARADIS se veut donc une comédie rocambolesque, où l’aspect même d’être un road-movie (donc le voyage) est un défi pour les protagonistes. Richard Wrong n’hésite jamais à mettre l’accent sur les crises existentielles des personnages, non pas sur une différence avec les autres, mais sur l’impossibilité d’accès à certains plaisirs simples. Pour cela, ce n’est pas dans les difficultés individuelles que le récit souhaite progresser, mais dans une étude du collectif. Le principe du road-movie n’est pas innocent, parce que cela permet d’étudier plus facilement le rassemblement et la solidarité entre les protagonistes. À travers cela, MISSION PARADIS explore la construction des liens sociaux, des barrières qui se réduisent.

Il y a donc beaucoup de temps d’échanges, sans jamais hésiter à être incisifs les uns envers les autres. Si les relations sociales sont touchantes dans le film, c’est parce que les personnages font parfois face à leurs peurs. Ils se livrent morceau par morceau, telle des images qui se sensibilisent petit à petit où leur vulnérabilité devient leur atout. Toutefois, dans cette sensibilité, même si l’humour est toujours subtil, il n’est jamais étonnant. Il n’y a aucune surprise dans la dimension comique, car elle reprend des modèles connus et utilisés depuis longtemps (notamment dans la comédie américaine de camaraderie). Même si les blagues ne surprennent pas à ironiser sur la répulsion, le récit ne prétend jamais que ses personnages sont tout beaux – tout gentils. Ils ont leurs caractères, allant parfois même à aller jusque dans l’extrême. La légèreté du film est aussi sa principale qualité, parce qu’au-delà de ne pas être subtile, elle fait ressortir l’honnêteté et les sentiments des protagonistes. Et c’est l’essentiel. Il est simplement dommage que MISSION PARADIS ne soit qu’une version plus adoucie de HASTA LA VISTA, qui n’hésite pas à être cru. Comme si l’adaptation cherchait à s’adapter à un type de comédie américaine, mais sans être graveleuse.

Richard Wong explore les vérités universelles et intimes sur le besoin de connexions humaines, sans pour autant faire des protagonistes des meilleurs amis. Au contraire, le trio peut même se présenter comme des antagonistes qui se rassemblent en dépit de leur volonté. Sauf que le film préfère visiter les étapes de la comédie (le départ discret, les accroches au sein du groupe, la panique, le moment de vérité, le film de groupe) plutôt que fouiller les possibilités du road-movie. MISSION PARADIS n’approfondit jamais ce qu’apporte chaque espace qu’ils traversent, et n’en fait que trop rarement des obstacles pour les personnages. Au point que le cadre est limite passif devant la fougue et l’audace de ces trois jeunes hommes, jusqu’à réduire à l’éphémère ce qui aurait pu être une scène de basculement dans un bar, où les protagonistes font de leurs difficultés leurs forces d’opposition. Même si le road-movie est au final purement un contexte et jamais une réelle ambiance, le récit n’oublie jamais d’évoquer les espaces de souffrances. Parce que ce voyage est une quête de l’espace rêvé (celui d’un accomplissement humain), mais qui doit s’atteindre par le temps que les personnages mettent à affronter leurs barrières.

Que ce soit physiquement ou psychologiquement, c’est l’histoire de gravir les espaces qui leur validerait leur humanité. Cette aventure est comme une forme de croyance, au fond. D’abord pour les personnages eux-mêmes. Mais ensuite pour l’image recherchée : par la légèreté du ton, par l’humour, c’est la volonté de créer une compassion progressive. En étant lui-même chef opérateur de son film, Richard Wong instaure cette tendresse dans la photographie. Malgré le cadre trop souvent passif, l’ambiance visuelle ne cherche jamais le romantisme du rêve des personnages, ou alors la fougue impertinente de leur audace. Au contraire, la compassion passe par une ambiance visuelle plutôt morose, qui laisse entrevoir un espoir avec la lumière constante, tout en gardant des couleurs rudes et pas très chaleureuses. Une manière de préserver le mouvement constant dans la mise en scène, pour que les personnages gardent leur impulsion de vouloir sortir de cette marginalité, pour atteindre le relief et l’horizon qui n’est jamais visible à l’écran. Parce que jusqu’au bout MISSION PARADIS n’abandonne pas ses personnages, et les accompagne jusque dans les expériences les plus difficiles.


MISSION PARADIS ; Réalisé par Richard Wong ; Scénario d’Erik Linthorst ; Avec Grant Rosenmeyer, Ravi Patel, Hayden Szeto, Gabourey Sidibe, Janeane Garofalo, Daisye Tutor, Delaney Feener ; États-Unis ; 1h46 ; Distribué par Star Invest Films France ; Sortie le 2 Juin 2021