Il y a quelque chose de rafraîchissant, de revigorant, face à OFFICIAL SECRETS de Gavin Hood. Contrairement à tout autre film « inspiré d’une histoire vraie » qui servirait une dose de romanesque, voire même une dose de mélodrame, celui-ci s’éloigne de tout cela. Le film est une reconstitution honnête et très minutieuse du travail procédural. Narré comme un film d’enquête habituel, Gavin Hood multiplie les angles de lecture, les points de vue, les espaces, et les détails qui font retarder ou progresser une recherche (surtout du point de vue journalistique). Pour cela, le scénario fait la part belle au métier de journaliste, avec de longues séquences où leur travail de recherche est détaillé, découpé par étapes. De plus, le scénario se nourrit d’une présence significative d’avocats dont le portrait est à la fois dans le soutien, dans la détermination et dans la réflexion. Cette galerie de personnages secondaires nous offre des rôles hauts en couleurs, presque comme des béquilles et des acolytes pour Katharine Gun, qui poussent jusqu’au bout leur fonction pour aider la protagoniste.
La grande force de OFFICIAL SECRETS est la mise en scène inspirée et sobre de Gavin Hood, qui pourrait paraître minimaliste mais qui révèle justement la tension de l’authenticité. Il est même fascinant de voir le travail de composition de Keira Knightley, fabuleuse dans la manière dont elle habite une personne réelle, et qui pourtant ne porte pas le film sur ses seules épaules. Et même si la musique en fait des caisses (peut-être le seul gros défaut du film, cette bande originale redondante et irritante), la mise en scène se suffit à elle-même en balançant la protagoniste entre plusieurs espaces différents. Keira Knightley navigue entre plusieurs lieux, qu’ils soient intérieurs et extérieurs, à la rencontre de plusieurs personnes qui auront un impact différent sur l’enquête mais aussi sur sa vie privée. Dans cette navigation entre tous les espaces, Gavin Hood y explore et y cherche les espaces où Katharine Gun sera écoutée, l’aidera et aussi la placera en sensation de sécurité. À travers tous les angles du scénario et les nombreux espaces, il ne s’agit pas de construire une narration tentaculaire, mais d’y faire planer le spectre de Katharine Gun, de sa conviction et du danger que son acte représente.
Pour se faire, Gavin Hood adopte une mise en scène très portée sur la sensation de l’étroitesse et de l’impasse. Que ce soit chez elle, à son travail, dans des espaces publiques ou des espaces privés, la mise en scène du cinéaste montre comment Katharine Gun doit mettre sa vie en parenthèse, la figer, pour rester dans l’attente de la progression de l’enquête. Mais surtout, le film montre une femme forte et indépendante, qui libre de ses choix, est pourtant confrontée à une menace hors-champ, à un monstre qui détient un grand pouvoir. Gavin Hood arrive à capter avec justesse les superbes regards de Keira Knightley, qui s’écartent pour fixer le vide, avec une posture presque figée faisant ressentir le poids de son geste. C’est une mise en scène des conséquences, qui se caractérise aussi par les personnages secondaires, surtout quand on voit que ceux-ci font les cent pas dans leurs propres espaces de travail. OFFICIAL SECRETS est comme un jeu de piste mis en scène dans l’idée qu’il s’agit d’une confrontation à distance entre David et Goliath.
Cela se perçoit également dans l’esthétique confectionnée par Gavin Hood. Beaucoup dans l’observation, le cinéaste développe pourtant un cadre qui réussit à plusieurs reprises à saisir ces moments où Katharine Gun persévère et vit avec un poids au-dessus de sa tête. Le cadre est à la fois dans l’écoute de la parole (importante, dans ce récit) et dans le regard d’un corps paralysé par les événements. Un cadre par moment frontal, qui capte l’angoisse et la panique autour de l’enquête. La photographie est également à double tranchant : souvent composée de flous en arrière-plan pour accentuer la frontalité du cadre, mais qui recherche aussi à projeter à l’image les sensations autour d’une situation à l’instantané. Par exemple, Keira Knightley a son visage toujours face ou sous une source de lumière, toujours contre l’obscurité. Et la photographie alimente cela par plus ou moins de lumières, un jeu de couleurs dans le décor, selon la gravité de la scène. Plus la narration progresse, plus OFFICIAL SECRETS est bien davantage qu’un film d’enquête, car Gavin Hood y saisit la dualité entre la conviction et la vie privée, tous deux soutenues par le travail acharné et passionné de personnages secondaires hauts en couleurs.
OFFICIAL SECRETS
Réalisation Gavin Hood
Scénario Gavin Hood, Gregory Bernstein, Sara Bernstein, d’après le livre de Marcia Mitchell & Thomas Mitchell
Casting Keira Knightley, Matthew Goode, Matt Smith, Ralph Fiennes, Jeremy Northam, MyAnna Buring, Adam Bakri, Indira Varma, Rhys Ifans, Conleth Hill, Katherine Kelly, Tamsin Greig
Pays Royaume-Uni, États-Unis
Distribution Wild Bunch
Durée 1h52
En e-cinéma dès le 2 Janvier 2020