Personne ne peut se plaindre que Steven Soderbergh ne met pas en oeuvre sa décision de prendre sa retraite, parce qu’il arrive à fasciner et surprendre (pratiquement) à chaque fois. Entre télévision et cinéma, le cinéaste continue à proposer des œuvres singulières et pleines d’inventivité. Tourné entièrement avec un iPhone et avec un budget dérisoire, PARANOÏA est un film de guerrier. Soderbergh est ce guerrier, celui qui tient à mettre en scène et en image Son Cinéma, celui en lequel il croit tant, loin des contraintes et du piège des studios hollywoodiens. Ici, Steven Soderbergh se lâche totalement. Contrairement à EFFETS SECONDAIRES (2013), assez similaire, mais qui n’avait ni folie ni rythme maîtrisé. Dans PARANOÏA, Claire Foy a le rôle titre, dont son personnage est plus propice à la folie que le personnage de Rooney Mara dans EFFETS SECONDAIRES. Dans ce nouveau film, la protagoniste est convaincue d’être harcelée : elle est alors enfermée contre son gré dans un institut psychiatrique. A partir de là, Soderbergh peut déployer toute sa créativité. Sa protagoniste essaie tant bien que mal de convaincre de sa non-folie et qu’elle est en danger, mais la forme épouse l’environnement où le contraire est affirmé.
Steven Soderbergh est connu pour ses cadres étranges, ses angles de vue peu communs, ses échelles explicites. A nouveau avec PARANOÏA, il cherche l’ambiguïté et le décalage du réalisme. Loin du réel, Soderbergh tend à définir la perception comme un événement éphémère. Peu importe ce qui est filmé et vu, le cadre s’amuse à l’altérer et à le nuancer ensuite. C’est le principe même du cauchemar : un rêve qui tourne soudainement dans le côté sombre. PARANOÏA a la même méthode, où un moment plutôt tranquille peut rapidement tourner à l’effroi et à la folie. Certains diront que l’arrière-plan est lisse, mais les personnages secondaires sont l’essence même du cauchemar. Sans eux, il n’y aurait pas de rupture, et l’iPhone utilisé par Soderbergh ne pourrait pas créer un trouble architectural. Grâce aux nombreuses courtes focales, les lignes se dématérialisent, et les corps sont en proie à une perturbation qui résonne avant de se manifester.
Tel un cri qui apparaît soudainement dans une oreille, le cadre crée un vertige du mouvement et de la composition. Parce que dans sa mise en scène, Soderbergh met en place beaucoup de suggestions. Posant plusieurs questions quant à l’environnement et à la situation de Sawyer, la mise en scène alerte la réflexion du spectateur, en brouillant constamment les pistes. On doit cela au parfait huis-clos créé par le cinéaste. Soderbergh préfère, et c’est évidemment plus intéressant, se focaliser sur la manifestation de la psychologie dans le huis-clos (avec son évolution chez Sawyer), plutôt que de développer une certaine idée de la dénonciation de conspiration (et ainsi, une sorte de dénonciation de l’institution dans laquelle s’inscrit le récit). Il n’y a rien de matériel dans ce huis-clos, et c’est pour cela que l’iPhone est un élément important pour l’esthétique et la mise en scène. Le cadre et la mise en scène se servent des suggestions de mouvement et de renversements (de situation), pour explorer la dématérialisation du huis-clos.
Plus le film avance, plus la composition esthétique (couleurs, grandeur des salles, longueur des couloirs, etc) prend le pas sur le nombre de détail dans le décor. Ce qui frappe davantage est le traitement hybride de cette esthétique. Entre vidéo-surveillance, proximité insoutenable et déformation de la perspective, PARANOÏA flirte sur plusieurs terrains. Il y a la projection des sensations des personnages, peu importe qu’ils soient considéré-e-s fous/folles ou non. Il y a un contraste notable sur la photographie, qui tend à mettre en marge la revendication réaliste de Sawyer (et donc à en douter). De plus, il y a le côté fantomatique du film, où le présent flirte constamment avec le récit d’un passé empreint aux doutes, ce qui pousse les êtres à n’être que les ombres d’eux-mêmes, comme s’ils ont délaissé leur personnalité. Enfin, on peut parler d’imaginaire, ou d’hallucination pour être plus exact : avec ces lumières jaunes très présentes, cette couleur bleue qui perturbe la vision du concret, et cette déformation des lignes par le cadre de l’iPhone.
Autre avantage apporté par le cadre réalisé par l’iPhone, le montage paraît plus électrisant. Il y a un vrai rythme fou dans le récit, qui ne permet pas la transition. Au montage, il y a soit la déformation de la perspective (donc la remise en question de la réalité), soit la suggestion d’un bouleversement soudain, soit l’effroi. Il y a un point commun entre tout ceci : le mouvement. Grâce à l’utilisation d’un iPhone, Soderbergh permet à ses comédien-ne-s de tout donner dans le mouvement. Et même avec ses cadres étranges et ses angles de vues peu communs, le cinéaste se concentre sur les attitudes de ses comédien-ne-s. Parce qu’il n’y a pas que l’emprise psychologique, il y a également l’emprise et le piège physique. Mais le montage et le mouvement révèlent un film assez fragile. A tout moment, le film peut basculer dans l’irrationalité à cause de sa recherche technique trop appuyée. Et même si le final en fait les frais, car trop calculé dans le récit, le film s’en sort plutôt bien.
PARANOÏA (Unsane)
Réalisé par Steven Soderbergh
Scénario de Jonathan Bernstein, James Greer
Avec Claire Foy, Joshua Leonard, Amy Irving, Jay Pharoah, Juno Temple, Aimee Mullins, Erin Wilhelmi, Polly McKie, Sarah Stiles, Colin Woodell, Raul Castillo, Gibson Frazier
Pays : États-Unis
Durée : 1 h 38
Sortie française : 11 Juillet 2018
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