Taxi Téhéran

Écrit et Réalisé par Jafar Panahi. Avec Jafar Panahi. Iran. 85 minutes. Sortie française le 15 Avril 2015.

Jafar Panahi n’a pas réussi à avoir un générique pour son film. Ce qui suggère pas mal de choses pour le cinéma iranien. La censure, les règles de bien-séance, les mensonges cachés et la tension hors caméra. Jafar Panahi a trouvé un dispositif simple pour réaliser son film : une petite caméra installée à l’intérieur d’un taxi. De cette manière, il n’a pas nécessairement besoin d’une équipe et beaucoup de moyens financiers. Ce qui est admirable, c’est le propos implicite du film avec de si petits moyens. Parlons de l’idée du taxi. Il devient le noyau de tout le propos de Jafar Panahi. Chaque échange entre les personnes (et non pas des personnages) se déroule dans le taxi. Chaque plan donnant sur l’extérieur ne comporte que des sons d’ambiances. De plus, le taxi est cette automobile qui se balade dans toutes les rues d’une ville. Grâce à cette voiture, le cinéaste va sonder la société composant Téhéran. Avec un taxi, il s’agit d’explorer des instants de société. Avec ces personnes qui prennent le taxi pour quelques minutes, et surtout ce va-et-vient de clients pour Jafar Panahi. A chaque montée, c’est une nouvelle facette d’un portrait de la société iranienne.

En captant entièrement ses scènes à l’intérieur du taxi, le film est sans cesse immersif. Il se crée une proximité avec les personnes qui prennent le taxi. Avec la petite caméra installée à l’intérieur du taxi, le découpage est souvent identique (on compte 7 plans différents). Ces plans, répétitifs, sont toujours rapprochés. D’une certaine manière, cette immersion permet d’inclure le spectateur dans le taxi. Le film intègre psychologiquement le spectateur dans la société iranienne. Puis, il y a un mouvement très significatif de cette immersion. Souvent, Jafar Panahi (ou deux autres personnes clients du taxi) vont manipuler eux-même la petite caméra à l’avant de la voiture. En bougeant eux-même l’appareil, le film montre que n’importe quoi peut se passer à tout moment. Enfin, l’immersion s’aperçoit dans deux plans singuliers. Quand le film, au montage, utilise les images filmées par le téléphone de la nièce de Jafar Panahi. Ainsi que celles du téléphone du vendeur de dvd.

Le cadre immersif scrute la tension quotidienne, grâce à la parole. En effet, les plans rapprochés donnent une liberté totale à la parole. Avec toutes ces personnes qui montent et qui descendent du taxi, c’est la société iranienne qui s’exprime. Il fallait donc que ces personnes montent dans une voiture pour faire exploser la réalité socio-politique. De ces paroles sort un film multi tons. Avec plusieurs scenettes au montage, il y a de l’humour, de la tragédie et du thriller. Toutes ces scènes montrent, successivement, que l’Iran peut être un pays dramatique comme un pays agréable. Pourtant, il y a une idée commune dans ces tons : c’est l’absurdité. Avec ces scenettes composant un tableau final assez triste, le film dessine un regard malicieux et persistant sur la tension quotidienne. Jafar Panahi a (presque) toujours le sourire aux lèvres dans le film. C’est l’image d’une liberté subtile et fougueuse.

Le taxi pourrait se voir comme le moyen de fuir la réalité extérieure. Le temps de quelques minutes, la parole redonne un brin de liberté. Ces dialogues suggèrent tout de même une bulle idéologique. Les sourires, les rires, la bonne humeur, la malice dont fait preuve Jafar Panahi est le noyau d’une bulle prête à éclater. A tout moment, il est possible de ressentir l’impact des sons d’ambiances. Cette bande sonore n’est autre que l’enrobage oppressant de la société. Une fois les portières du taxi fermées, l’angoisse permanente au sein de cette société plane. Avec des scènes à l’ambiance tragique, le film laisse un peu entrer cette peur. De cette manière, le montage permet de comparer l’individuel libre à la réalité de la société iranienne. Comme deux portraits qui se feraient face, pour montrer une opposition incessante et l’écrasement de l’un sur l’autre.

4 / 5