Tel Aviv on fire

Faire un film sur la conception d’un film, telle pourrait être la tare du cinéma. Heureusement, les plus perspicaces ont compris que cette idée doit éviter un piège : celui de faire un film à propos de la conception d’un film. Ces plus perspicaces ont compris qu’il faut explorer ce qui gravite autour (atmosphère), afin d’en détacher des personnages qui ont un enjeu plus grand que la conception d’un film. Il faut donc une balance entre les deux mondes : celui qui regarde la conception du film, et celui où le film est conçu. Il faut faire la balance entre l’intérieur du projet artistique, et l’extérieur du projet artistique. Voir comment les deux s’alimentent et se connectent. Sameh Zoabi l’a parfaitement compris, en alternant les deux univers, comme il regarde les réalités alternatives qui existent entre Israël et la Palestine. TEL AVIV ON FIRE est pourtant bien plus qu’une exploration d’une atmosphère et de personnages au cœur de ces réalités alternatives. Le film de Sameh Zoabi est surtout une comédie, une farce qui propose de la chaleur à travers une romance et une complicité inattendue.

TEL AVIV ON FIRE est une comédie qui s’adapte à son sujet : le protagoniste Salam (Kais Nashif) travaille sur un feuilleton télévisé, et le film de Sameh Zoabi en prend la construction, le rythme et la forme. TEL AVIV ON FIRE modélise sa comédie tel un feuilleton (voire une sitcom, à certains moments) et l’assume parfaitement. Dès le générique d’ouverture, Sameh Zoabi fait comprendre que son film ironise l’ambiance qu’il va explorer, qu’il tient à détourner et à forcer les traits de la réalité. Telle une satire qui a pour objectif de bouger les équilibres, d’être davantage qu’une comédie qui dénonce, mais surtout d’être une comédie qui définit ce monde comme une farce permanente. Grâce à cela, le cinéaste montre toute l’absurdité des comportements, des pensées des uns et des autres, mais aussi comment ce conflit se transmet à travers les générations et les espaces. Parce que dans sa mise en scène, cette comédie-farce crée constamment des freins pour les attitudes, comme si les corps sont toujours stoppés dans leurs progressions. Une façon pour Sameh Zoabi de capter bien davantage que l’ambiance, il capte d’abord des personnages humains qui sont confrontés à cette ambiance.

Le cinéaste s’intéresse d’abord à ses personnages, pour explorer leurs aspirations, mais dont celles-ci sont confrontées aux réalités alternatives. Ce que souhaite l’un ne peut se produire dans la réalité de l’autre, et inversement. Sauf que le cadre évite soigneusement de se concentrer sur l’absurdité d’un conflit. Tout se déroule dans les interactions entre les personnages, et donc l’essentiel se concentre sur les intérieurs. Le cadre laisse cette ambiance de conflit dans les hors-champs et les arrières-plans, tandis que les intérieurs se confondent avec une intimité. L’esthétique est rapidement soumise à la cocasserie des deux réalités alternatives, plutôt qu’à contaminer cette absurdité des interactions à l’extérieur. Sameh Zoabi a une tendance à retenir la dramaturgie du conflit, afin de développer davantage la farce. La farce n’est donc pas au service de la dramaturgie (celle qui crée l’ambiance tendue dans le conflit), mais les deux se regardent continuellement. TEL AVIV ON FIRE a trop tendance à chercher une ironique bromance, plutôt qu’à faire vivre ses couleurs vives des espaces traversés. La farce a une âme, mais le conflit n’est vivant que dans les interactions entre personnages.


TEL AVIV ON FIRE
Réalisé par Sameh Zoabi
Scénario de Dan Kleinman, Sameh Zoabi
Avec Kais Nashif, Lubna Azabal, Yaniv Biton, Maisa Abd Elhadi, Nadim Sawalha, Salim Dau, Yousef Sweid, Amer Hlehel, Laetitia Eido, Ashraf Farah, Ula Tabari
Israel, France, Belgique, Luxembourg
1h40
3 Avril 2019

3 / 5