The Last Hillbilly, de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe

Dans la culture populaire américaine, les habitants des Appalaches sont surnommés « hillbillies » : littéralement « bouseux », « péquenauds » des collines. Ces habitants de l’Amérique blanche rurale possèdent un fort attachement à l’identité, vivant (presque) à l’écart de tout le reste de la société. Face aux stéréotypes reçus de l’extérieur, Brian Ritchie se livre devant la caméra de Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe. THE LAST HILLBILLY est un portrait intimiste en pleine immersion dans une famille des Appalaches. Pour cela, rien de mieux que d’écouter le récit et l’imaginaire de la bouche d’une seule et même personne. Brian Ritchie est non seulement au cœur du dispositif, mais il se fait également la parole de sa famille. Les cinéastes le filment et l’écoutent comme le témoin d’une époque qui ne cesse d’évoluer autour de sa culture, faisant disparaître son univers si singulier. Sauf qu’il n’est pas uniquement un témoin, il est aussi poète. Ses envolées lyriques – presque en criant ses vers – au début du film sont frissonnantes. Il y a là une voix désespérée, nostalgique et fière face à sa culture qui disparaît à petits feux. La voix-off de Brian Ritchie est tranchante et bouleversante à la fois, telle une confidence qui a besoin de faire ressortir une émotion forte, entre création poétique et métaphysique du passé.

Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe s’emparent de cette touche poétique pour utiliser de manières différentes les images. THE LAST HILLBILLY n’est pas un simple documentaire qui observe Brian Ritchie, son univers spatial et sa famille. Il y a l’exploration de l’espace intime où vit Brian, le connectant à la nature dans des plans moyens. Les cinéastes captent ce qu’ils nomment « le sanctuaire familial » (le premier chapitre du film), où les images accompagnent le mouvement des personnes dans leur quotidien – de la cabane jusque dans les bois. Une manière de poser le contexte, de nous donner à comprendre la vie des Apalaches, pour en saisir toutes les problématiques passées et présentes. Dans le deuxième chapitre intitulé « la terre vaine », ce n’est pas tant une nouvelle interrogation, mais plutôt une extension des réflexions élaborées par le premier chapitre. Maintenant que le montage nous a installé dans l’espace intime de la famille, l’image peut se libérer et étendre son champ. Le paysage devient alors de plus en plus imposant, le cadre se préoccupant de plus en plus de la liberté qu’il offre. Mais c’est une image qui reste à distance, parce qu’elle saisit de plus en plus les difficultés intemporelles de vivre dans ce paysage. Avec la parole des échanges entre les personnes filmées, l’image réfléchit aux possibilités de transformation (ou adaptation, c’est selon votre interprétation) et à la cruauté d’un paysage hostile. L’image est alors un mélange entre l’observation du réel austère et la construction d’un imaginaire intime passionné. Diane Sara Bouzgarrou et Thomas Jenkoe captent la beauté et la brutalité du rapport organique entre les êtres et la nature.

Un respect des êtres envers le paysage qui se transmet dans les images, parce que THE LAST HILLBILLY consiste dans le simple geste de transmettre la parole et l’expérience de cette vie dans les Apalaches. Une immersion totale qui se ferme complètement du hors-champ, qui représente la civilisation extérieure perpétrant les préjugés. Cet isolement recréé par le cadre est une grand plongée dans l’inconnu, comme si l’imaginaire collectif du hors-champ se voit confronté à la réalité. Cela va donc avec une musique bien dérangeante voire hypnotisante. Comme si les trois chapitres sont une lecture en trois étapes. C’est à partir de cette idée que le documentaire prend une dimension quasi mystique, telle l’incarnation personnifiée et photographique d’idées restées abstraites pendant longtemps. Une esthétique caractérisée par cette nuance constante entre passé et présent (et l’évocation du futur par la parole qui s’incruste dans des monologues en plan fixe), par une impression de parcourir le réel et les rêves des Apalachiens, avec un contraste bien appuyé et une légère saturation des couleurs (pour capturer la beauté et la pauvreté du paysage). Bien que la voix-off pleine de poésie quasi transcendante tend à disparaître petit à petit, il y a tout de même une épreuve du temps. Grâce à cette dimension mystique, le cadre raconte que rien n’est figé dans le temps, que tout fait partie d’un cycle – comme avec le paysage. Ce n’est donc pas innocent que le film, dans son troisième chapitre, se dirige vers l’avenir en changeant son focus afin d’épouser le point de vue de la jeunesse. Parce qu’après tout, malgré la beauté et la sauvagerie du paysage, malgré la compréhension visuelle de ce qui existe, il faut se tourner vers l’avenir et son appréhension.


THE LAST HILLBILLY ; Écrit et Dirigé par Diane Sara Bouzgarrou, Thomas Jenkoe  ; France / Qatar ; 1h20 ; Distribué par New Story ; Sortie le 9 Juin 2021