Nina Hoss n’est pas là, mais la robe rouge est de retour. L’identité, coeur du cinéma de Christian Petzold, résonne entre PHOENIX et TRANSIT, encore plus qu’avec les précédents. Même si, dans ce nouveau film, le cinéaste allemand tente un grand coup : superposer deux époques pour raconter un seul récit. Pas n’importe lequel, puisque le cinéaste s’engage à nouveau dans un propos politique. Là où PHOENIX est l’un des rares films à traiter du traumatisme post-WW2 directement après la guerre, TRANSIT fait partie des films qui parlent des migrants contemporains. Il y a un point de vue très fort, puisque la caméra ne suit que les personnages qui fuient et qui se cachent. Une immersion complète dans le quotidien et l’incertitude des personnes qui sont obligés de courir pour échapper à une répression. Le récit est d’autant plus fort que la répression est effectuée par un groupe suggéré fasciste.
TRANSIT crée donc un écho entre deux époques. Celle où les nazis allemands effectuaient des rafles sous leurs occupations, et celle moderne où les états européens font de la répression face aux migrants. Christian Petzold met les deux époques en miroir. Cependant, il faut comprendre qu’il n’y a pas d’intention de les faire dialoguer. Le cinéaste allemand reste dans la suggestion, dans la mention. Pour preuve, les fameuses milices fascistes sont très peu montrées, en ne comptant réellement que deux scènes d’arrestations et aucune scène de violence. Le danger de la répression plane dans l’ambiance, toujours dans le hors-champ. De ce fait, la mise en scène dans TRANSIT est davantage une déambulation. Chaque rue est marquée d’une tension, entre la survie et la mort. L’ambiance s’apaise lorsque les personnages qui fuient se rencontrent ; et le temps d’un instant, le temps s’arrête et la mise en scène se consacre à l’intime souffrance. Il y a donc deux visages dans la mise en scène : le trouble intime et le corps fuyant.
Comme dans PHOENIX, Christian Petzold film un fantôme, avec un protgoniste (brillamment interprété par Franz Rogowski) qui apporte une fragilité tout en affirmant une détermination sans faille. A la différence de Nina Hoss dans PHOENIX, Franz Rogowski n’a pas un nouveau visage, mais il s’octroie une identité différente (grâce à un homme décédé). On pourrait parler de quête d’identité dans un contexte de répulsion, mais c’est davantage un film de fantômes. Chaque personnage est morcelé, brisé dans un désir qui est présenté comme inatteignable. D’où la déambulation, où les personnages reviennent sans cesse dans les mêmes espaces, pour tenter de se fixer dans une situation. Mais voilà, les troubles intimes sont si importants, que les personnages se détachent toujours des espaces. Les personnages ne peuvent plus exister en tant qu’eux-mêmes, car cela signifierait la mort. Ils ne sont plus que les ombres d’eux-mêmes, dont cette magnifique présence récurrente des ombres dans la photographie. Il y a également des attitudes fantomatiques, notamment avec tous ces regards désabusés et qui se projettent dans un hors-champ inconnu. Mais surtout, les fantômes s’aperçoivent comme des corps qui flottent dans les espaces. Dépossédés de leur identité et presque de leur intimité, les personnages sont d’abord distants les uns envers les autres, pour finir par se rapprocher et s’échanger leur désespoir.
Ces fantômes sont isolés de l’environnement social de la ville où se situe l’action. Dans le café où ils se rencontrent à maintes reprises, le cadre est toujours resserré et crée du flou en arrière-plan. Avec des corps complètement relâchés/détendus, ces fantômes sont piégés dans les espaces. Les seuls lieux sûrs ne sont pas nombreux : une chambre d’hôtel où se font des confessions, un appartement où une famille divisée doit apprendre à renaître, un wagon de train où la seule fenêtre laisse entrevoir le rêve d’un ailleurs (on y reviendra). Sauf que les corps, fuyants, sont confrontés à des espaces fébriles qui n’assurent pas une sécurité sur le long terme. Lorsqu’une esplanade où se fume des cigarettes se transforme en saut de suicide, Christian Petzold montre que chaque espace peut écraser les personnages à tout moment.
Tous ces espaces n’ont pas que ce seul point commun, car leur récurrence (pour ne pas dire redondance, terme qui pourrait sonner négativement) est le fruit d’un mouvement de mise en scène et de narration. En effet, le protagoniste devient un fantôme très rapidement. Il clame ses intentions rêvées dès le début. Franz Rogowski n’est pas tellement le noyau central du récit, il en est davantage l’image projetée. Avec un narrateur omniscient qui précise des éléments que la mise en scène ne pouvait pas intégrer (au risque d’étouffer le rythme), TRANSIT est une invitation au voyage du protagoniste Georg. Celui-ci est comme un vecteur qui va d’espace en espace, pour développer et explorer d’autres personnages. Il se confond presque avec la caméra, qui creuse les déambulations pour entrer dans plusieurs autres fictions. Ainsi, Christian Petzold parle de plusieurs détresses, qui permettent d’alimenter l’évolution de son protagoniste (qui finira par être plein de nuances très justes).
Grâce à ces diverses petites fictions à l’intérieure d’une seule, il surgit un nouvel espace d’espoir dans TRANSIT. Telle cette fenêtre dans le wagon, ou telle cette fenêtre de chambre d’hôtel qui donne sur la mer (il y a encore d’autres cas) : Christian Petzold maintient le rêve à travers quelques regards qui se perdent. Les corps fuyants et les personnalités devenues fantômes, il ne reste plus que la déambulation dans les espaces. A partir de là, chaque lumière, chaque horizon, chaque champ/contre-champ et chaque cadre en plongée sont des arguments de l’espoir et de la bienveillance du cinéaste. Alors que le film révèle un récit très noir, très tragique, l’esthétique reste solaire et permet (grâce à un bruit de porte, ou à un rayon de lumière, ou à un geste lointain, etc…) de garder ses personnages en vie.
TRANSIT
Réalisation : Christian Petzold
Casting : Franz Rogowski, Paula Beer, Godehard Giese, Lilien Batman, Maryam Zaree, Barbara Auer, Matthias Brandt, Sebastian Hülk, Emilie de Preissac, Alex Brendemühl, Trystan Pütter
Pays : Allemagne, France
Durée : 101 minutes
Sortie française : 25 Avril 2018