Écrit et Réalisé par Christian Petzold. Avec Nina Hoss, Ronald Zehrfeld, Imogen Kogge, Nina Kunzendorf, Uwe Preuss, Michael Maertens, Valerie Koch. Allemagne. 98 minutes. Sortie française le 28 Janvier 2015.
Alors que les films français aiment se porter sur l’éloge et la réussite de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne a toujours du mal à passer outre leur tumultueux passé. Les cinéastes ont comme une obligation de raviver les mémoires sur les erreurs de leurs ancêtres. En 2014, on a eu le droit à DE L’AUTRE COTE DU MUR de Schwochow, D’UNE VIE A L’AUTRE de Mass et Kaufman. PHOENIX est un nouveau film sur les conséquences des erreurs allemandes entre 1939 et 1945. Ici, il y a la volonté de renaissance. Retour des cendres après des actes inhumains, c’est le contexte du film. Là où la protagoniste est une survivante des camps, de retour dans sa vie passée. Mais les traces sont encore présentes.
Souviens-toi, l’an passé
Il y a manière, dans ce film, à placer la robe rouge au centre de toutes les idées fournies. Que ce soit dans la mise en scène ou dans l’esthétique. Tout d’abord, la robe rouge fait partie de ces objets qui font rappeler le passé. Telles des réminiscences qui viennent s’ajouter petit à petit, pour reconstruire une vie partie en cendres. Christian Petzold manie habilement l’intégration des objets dans la dramatisation qui entoure sa protagoniste. C’est l’image d’un pays en ruines, qui essaie tant bien que mal de tout reconstruire. Des photographies personnelles aux fantasmes les plus privés, le film se concentre sur l’intimité. Ainsi, la robe rouge est le point d’orgue de ces réminiscences. Dans cette idée où l’intime permet d’imaginer tout le développement nécessaire d’un personnage.
A côté de cette construction progressive de la protagoniste par les objets, l’esthétique fait sa part dans la mise en scène des réminiscences. En effet, Christian Petzold joue beaucoup sur la lumière, et également sur les ombres. Partout (dans le club, dans l’appartement, dans les ruines, dans le taudis, sur le quai, …) le film alterne la mise en valeur du présent et du passé. Le présent est mis dans une noirceur qui souligne les conséquences des erreurs, des regrets et un changement soudain. Tandis que la lumière nous fait revoir, même plutôt entrevoir, le passé comme une illusion qui revient à la surface de la mémoire. La robe rouge en est la preuve parfaite : de sa couleur vive, qui rappelle le plaisir du passé, s’oppose sa longueur et sa largeur trop grandes pour le présent.
Only ghosts left alive
Cette robe rouge est aussi le masque que porte la protagoniste pour essayer de revenir à la surface. Avec son changement de visage, et cette progression sur les réminiscences, la protagoniste agit tel un fantôme parmi les vivants. Une ré-apparition qui vient perturber le gentil quotidien des vivants, qui doivent désormais faire partie du troublant souvenir des erreurs. La robe rouge est également le moyen de compléter le jeu de rôle auquel se donne la protagoniste. Par déjà son nouveau visage, la protagoniste est un semblant du personnage qu’elle doit être. Là est le double jeu de l’actrice. Nina Hoss, étonnante de tendresse et de retenue, n’est pas réellement en train de jouer Nelly Lenz. Elle est en réalité en train de jouer le même rôle que la robe rouge : une belle chose que l’on croyait disparue, et qui a survécu mais sous un autre regard. C’est un entre-deux constant, où l’idée fantomatique traverse chaque plan par des semblants (on pourrait lister le banc du parc, le retour dans un train, …).
Phoenix le presque magnifique
Tout ceci n’est pas sans un défaut majeur. En effet, le film joue beaucoup sur cet effet de fantôme parmi les vivants, sur les réminiscences, etc… Mais cette robe rouge manque d’une cruelle approche. Même si ce film se comporte comme une tragédie romantique, il y manque de la passion. La robe rouge représente tout ce qui constitue le passé de la protagoniste. Mais, à aucun instant, ne se positionne comme l’argument glamour de la relation entre Nelly et Johnny. La froide distance qui sépare Nina Hoss de Ronald Zehrfeld en est la preuve concrète. Même si lui ne la reconnait pas, l’alchimie entre les deux personnages ne parvint jamais à trouver une stabilité. Leur ancienne vie amoureuse n’est que le fruit de mentions explicites. A tel point que Johnny (Ronald Zehrfeld) ne parait que comme le prétexte pour ressortir les réminiscences, et donc la robe rouge.
Même si la robe rouge (et donc le film) manque de passion et de glamour, il y a une vraie forme délicate. Le découpage, mais surtout le montage, montrent une tendresse qui s’empare de l’approche faite sur la protagoniste. La robe rouge, par sa longueur, représente tout le temps que Christian Petzold passe sur ses plans. Les mouvements sont légers, le changement d’échelle est progressif, les plans ont une dure plus ou moins longues (même s’il n’y a pas de plans séquence importants à signaler). Le cinéaste laisse durer les plans pour mieux se concentrer sur la beauté de ce fantôme, la joie de ces réminiscences, la beauté de l’opposition lumière/ombres, … Le montage permet alors une certaine contemplation de s’installer, pour placer le trouble du présent dans les rouages du passé. La passion n’y est peut-être pas, mais la robe rouge est cette visite des névroses par l’intimité.
Bonus du DVD
Dans les bonus du dvd, mis à part la bande annonce, on peut y trouver deux entretiens. Il y a celui fait avec le réalisateur Christian Petzold. Et celui effectué avec l’actrice principale Nina Hoss. En écoutant les deux artistes, le film devient un peu plus claire dans ses intentions. Le réalisateur réagit à son premier plan, dans une voiture. Ils associent alors, grâce aussi à ses références, les personnage et les voitures au cinéma. Parce que leurs mouvements respectifs sont un moteur pour construire un film. Puis, il considère qu’il existe trois types de réalisateurs : les peintres, les écrivains et les musiciens. S’associant aux écrivains, il associe notamment Hitchcock et Lynch aux peintres. Avec plusieurs exemples, Christian Petzold propose son avis sur l’exposition d’un film. Son début ne doit pas être explicite, et comme dans les romans de Faulkner, cela doit laisser place à la curiosité, l’ignorance et l’imagination du spectateur. Ceci dans un soucis de complexité et d’identification aux personnages. En quelque sorte, le film traduit un mouvement perpétuel dans une quête d’un visage perdu.
Concernant Nina Hoss, on pourra retenir deux éléments pour sa vision du jeu d’acteur. Tout d’abord, l’actrice suit des préparations avant le tournage. Elle a besoin de prendre toutes les informations nécessaires pour composer son personnage (comme ici des infos sur la 2GM). Puis, elle a également besoin d’avoir des objectifs durant le tournage. Au fil d’un film, elle estime qu’un acteur « digne de ce nom » doit se fixer plusieurs buts. C’est de cette manière qu’elle se sent plus libre et qu’elle peut se lâcher dans son jeu. Elle ne veut pas subir les ordres d’un metteur en scène, mais pouvoir travailler en amont et en marge. De plus, elle pense qu’un cinéaste peut s’écarter un peu de la direction fixée avant le tournage. Elle parle de changer de chemin, pour que le sujet ne devienne pas un élément théorique filmé bêtement. Nina Hoss explique que, selon elle, il faut prendre des libertés et se laisser porter durant le tournage.
4 / 5