Courtney Barnett, sainte patronne du rock

A la question ‘comment vas tu ?’, mieux qu’un sourire crispé, Courtney Barnett répond par un album. Avec Tell Me How You Really Feel son 2ème opus sorti en mai dernier (elle a mis 3 ans à le sortir, on pouvait bien prendre un mois pour l’écouter) l’australienne explore les tréfonds de son intranquillité. Courtney Barnett livre 10 titres d’un rock grumeleux mais pas rageur, un brin grunge dans la plus pure tradition rock des années 90. Ses textes sont efficaces et concis. Elle y assume son spleen et son sentiment de désespoir mêlé d’inutilité, résumés sous le titre « Helplessness » qui ouvre cet album. Elle y chante « No one’s born to hate. We learn it somewhere along the way. » (Personne n’est né pour haïr. Nous l’apprenons quelque part en cours de route).

Courtney Barnett est une artiste qu’il faut écouter mais aussi lire attentivement. Aucun des mots qu’elle choisit n’est hasardeux. Dans ce deuxième album, elle se raconte davantage que dans Sometimes I Sit and Think and Sometimes I Just Sit. De ces textes très personnels se dégage un sentiment d’honnêteté et d’humilité, de fébrilité aussi. Une de ses chansons porte le titre « Crippling Self-doubt and a General Lack of Confidence » (doute de soi paralysant et manque général de confiance). Sans jamais faiblir dans le sarcasme et l’autodérision, Courtney Barnett aborde différents sujets : dans « City Looks Pretty » elle parle de son incapacité à se sentir bien et de la nostalgie qu’elle ressent quand elle revient chez elle après une longue tournée. Sur « I’m not Your Mother, I’m not Your Bitch » elle exprime franchement sa liberté et son indépendance. Le titre « Nameless, Faceless » est une réaction à la domination masculine et à la société patriarcale.

« I wanna walk through the park in the dark. Men are scared that women will laugh at them. Women are scared that men will kill them » (Je veux marcher dans le parc dans le noir. Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent.)

Heureusement, ces textes emprunts de gravité sont pondérés par le charme d’un rock adolescent. L’énergie de Courtney Barnett est communicative. Elle est à elle seule une petite bête de scène qui remplit un Bataclan et des salles à travers le monde. Dans sa discographie on compte déjà trois EP (entre 2011 et 2014), désormais deux albums solo et l’album Lotta Sea Lice enregistré avec son comparse Kurt Vile et publié en 2017. En 2012 elle a fondé son propre label Milk! pour produire ses albums et d’autres artistes dont sa compagne Jen Cloher.

Il n’y a pas que Anna Calvi qui sauvera le rock.

Croyez le ou non, nous l’avons proclamée sainte patronne du rock avant de lire les paroles extraites de « Walkin’ on Eggshell » : « I’m not claimin’ I’m some patron saint » (Je ne prétends pas être un saint patron). Tell Me What You Really Feel, c‘est quand même mieux qu’un sourire crispé.

Tell Me How You Really Feel, album disponible depuis le 18 mai (Milk! / Marathon Artists / Pias)

Photo Danny Clinch

4 / 5